Pierre Pestieau
Le thème de l’immigration est celui à propos duquel la gauche a la fâcheuse
habitude de se diviser, mais plus grave, de maintenir un flou qui pourrait
donner raison à tous les points de vue allant de l’angélique accueil universel
justifié par les inégalités mondiales à des positions plus restrictives fondées sur la
protection de la cohésion politique et sociale des sociétés d’accueil.
Entre
l’argument qu’une obligation d’entraide est due à tous universellement, y
compris aux étrangers cherchant à immigrer, et le point de vue que les
compatriotes ont priorité et que les obligations envers les étrangers sont
limitées, on aurait pu penser que John Rawls (1), le philosophe de la justice
qui a eu tant d’influence sur les économistes, pencherait pour le premier. Or,
même s’il est discret sur le sujet, cela ne semble pas être le cas. Pour Rawls,
si un peuple est lui-même responsable, par son incurie, des facteurs qui
poussent ses membres à immigrer, cette irresponsabilité ne peut être transférée
sur le dos d’autres populations sans leur consentement. Seuls les réfugiés pour
cause de guerre, de famine ou de catastrophe naturelle constitueraient un
problème de justice pour les éventuels pays d’accueil. Cet argument fondé sur
la nation est parfois complété par un impératif d’aide aux pays défavorisés
dont sont originaires les migrants potentiels.