mercredi 18 mars 2020

Ce serait si facile


Pierre Pestieau

Une réflexion, suite à la lecture de deux travaux de recherche. Le premier est consacré à la sociologie des prénoms (1) et le second à l’impact des accents régionaux sur le marché du travail (2). Il semblerait que tant la réussite scolaire que professionnelle serait plus élevée pour ceux qui s’appellent Apolline ou Garance que pour ceux qui portent le prénom d’Allan ou Steven. Il semblerait aussi qu’avoir un accent régional entraîne une pénalité en termes de salaire, pénalité aussi forte que celle dont souffrent les femmes. La pénalité est dès lors double pour les femmes qui ont un accent.

Avant de discuter de la signification de ce type de résultat, j’aimerais aborder la question de ses implications. Les parents qui lisent ces articles pourraient décider de donner à leurs enfants des prénoms porteurs et de pincer leur accent afin de dissimuler leur origine régionale. Certains le font sûrement mais de telles décisions ont un coût, celui de renoncer à ses origines, à sa culture au nom d’un certain conformisme et d’une naïve ambition. Cela me rappelle un film de 2010, L’Italien, qui narre l’histoire d’un franco-algérien qui, pendant de nombreuses années, se fait passer pour Dino Fabrizzi , un Italien qui travaille à Nice dans une concession Maserati . Ou encore, l’excellent Pain et Chocolat, film de 1974, qui raconte l’histoire d'un Italien, migrant clandestin en Suisse.  Rapidement déçu par la discrimination dont il souffre, il décide de se teindre les cheveux afin de se faire passer pour un vrai Suisse. Cela ne lui réussira pas.

La question intéressante est ailleurs ; elle peut se formuler de façon lapidaire par un: « Est-ce que ça marche ? » Cela nous ramène à la signification de ces recherches, par ailleurs intéressantes en soi. On commencera par les prénoms. Il est indiscutable que le  choix d’un prénom cache un milieu socio-économique particulier. Le grand bourgeois qui donne à sa fille le prénom de Garance lui donne bien plus que cela : une éducation poussée, un réseau de relations, une assurance dans sa vie, ensemble de facteurs qui jouent un rôle essentiel dans sa réussite professionnelle. L’immigré marocain qui donne à sa fille le prénom d’Apolline ne peut lui donner tous ces atouts.

Quant à l’accent, le constat n’est pas différent, même si les auteurs de cette recherche nous assurent que grâce a une variété de stratégies d’estimation, ils prétendent passer d’une simple corrélation à une relation de causalité. Leur étude porte sur l’Allemagne, un pays où les dialectes régionaux varient considérablement. Il est difficile de penser qu’un Bavarois ou un Souabe qui a l’accent du terroir ne véhicule pas d’autres caractéristiques dont tient compte l’employeur.

Dans le même registre de causalité trompeuse, je me souviens d’un séminaire où j’expliquais le grand écart de longévité entre les gens du Nord et ceux du Sud-Est français. J’ai eu beaucoup de mal à expliquer à l’un des participants, qui était relativement âgé et qui vivait à Lille, que déménager à Toulouse ne le ferait pas vivre plus longtemps.

Pour conclure, il faut bien admettre que ce sont là des moyennes statistiques. Dans une société où l’ascenseur social fonctionnerait, un enfant doué et travailleur devrait grimper l’échelle sociale en dépit de son accent et de son prénom. Ces success stories sont malheureusement trop rares.

(1). Blog de Baptiste Coulmont : http://coulmont.com/blog/. Voir son ouvrage : Sociologie des prénoms. La Découverte, pp.128, 2011
(2). Grogger, Jeffrey, Steinmayr, Andreas and Winter, Joachim, The Wage Penalty of Regional Accents (January 2020). NBER Working Paper No. w26719. Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=3530690





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