mercredi 4 mars 2020

Jeu de dupes

Pierre Pestieau

Il y a quelques semaines, j’étais invité par FMI à participer à un débat sur la taxation du patrimoine. Cette taxe, qui n’existe plus que dans trois pays du monde industrialisé, fait parler d’elle aux États-Unis, et donc au sein du FMI parce qu’elle est un des éléments phare du programme de deux candidats à la nomination démocrate en vue de la prochaine élection présidentielle. Ces deux candidats sont Bernie Sanders qui a déjà acquis une certaine notoriété et Élisabeth Warren. Tous les deux viennent de la Nouvelle Angleterre. Ils sont respectivement sénateurs du Vermont et du Massachussetts.


Deux économistes de Berkeley, d’origine française, conseillent Élisabeth Warren et ont écrit un remarquable ouvrage sur la taxation du patrimoine, qui vient d’être traduit et porte un titre parlant : Le triomphe de l'injustice - Richesse, évasion fiscale et démocratie, paru au Seuil, en 2020. Les auteurs, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, qui sont proches de Thomas Piketty, expliquent comment on est arrivé à une situation où les milliardaires américains paient moins d’impôts, en proportion de leurs revenus, que chacun des autres groupes sociaux. Ils proposent dès lors de lutter contre l’explosion des inégalités par un impôt progressif sur le patrimoine. Leur proposition a été accueillie froidement par la majorité des économistes, même démocrates (1).

Lors de la réunion de réflexion organisée par le FMI j’avais l’impression d’être pris dans un jeu de dupes. A ma grande surprise, les fiscalistes qui étaient présents ne rejetaient pas l’impôt mais de façon quasi goguenarde se rassuraient en notant deux choses. D’abord, même si, par (mal)chance, l’un de ces démocrates était élu, un tel impôt ne serait jamais voté par un sénat dont plus de la moitié est composée de milliardaires. Ensuite, même si, par miracle, il était voté, il n’aurait aucun effet sur le patrimoine des très riches étant donné qu’aux États Unis il existe une série de dispositions parfaitement légales d’évitement d’un tel impôt. Ce sont d’ailleurs ces dispositions qui permettent aux milliardaires américains de payer si peu d’impôts sur les revenus du capital ou sur les héritages.


(1) La critique la plus vocale a sans doute été celle de Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton.

2 commentaires:

  1. Comment expliquer cette croissance rapide des disparités ? Pourquoi ne pas agir sur les causes premières au lieu de chercher à redistribuer ? Peut-on aussi identifier ces causes premières ? Et peut-on agir sur elles ?

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  2. Pour comprendre le mécanisme mystérieux qui aboutit à ce que les gens qui se font gruger votent pour ceux qui les grugent, ne faut-il pas s'intéresser aux années où la politique et l'économie ont pris le virage du toujours moins d'impôts pour les plus riches et moins de services pour les autres ? Années Reagan ? Comment ce bougre a-t-il réussi un pareil tour de force ? Etait-il très malin, avec une intuition économique hors pair ?

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