dimanche 15 mars 2020

La Peste

Victor Ginsburgh

Etude pour piano et lingette nettoyante
« Comme d’habitude ! C’est-à-dire que le nouveau sérum envoyé par Paris avait l’air d’être moins efficace que le premier et les statistiques montaient. On n’avait toujours pas la possibilité d’inoculer les sérums préventifs ailleurs que dans les familles déjà atteintes. Il en eût fallu des quantités industrielles pour en généraliser l’emploi. La plupart des bubons se refusaient à percer, comme si la saison de leur durcissement était venue, et ils torturaient les malades. Depuis la veille, il y avait dans la ville deux cas d’une nouvelle forme de l’épidémie. La peste devenait alors pulmonaire. Le jour même, au cours d’une réunion, les médecins harassés, devant un préfet désorienté, avaient demandé et obtenu de nouvelles mesures pour éviter la contagion qui se faisait de bouche à bouche, dans la peste pulmonaire. Comme d’habitude, on ne savait toujours rien ».

Ceci vient de la page 99 de mon vieux La Peste de Camus. Un vrai ‘Livre de Poche’, il n’en existait d’ailleurs qu’un seul de ce nom. Acheté en 1962, il tient encore le coup. Comme les autres choses qui n’ont pas tellement changé en 58 ans.
Et page 247, les derniers paragraphes du livre :

« Du port obscur montèrent les premières fusées des réjouissances officielles. La ville le salua par une longue et sourde exclamation… Mais il [l’écrivain] savait que cette chronique ne pouvait pas être celle de la victoire définitive… Ecoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, [il] se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais ».

Et chaque fois qu’il revient, nous sommes étonnés, mais nous savons ce qu’il faut faire : vider les rayons des supermarchés, pour se faire la même bouffe et les mêmes repas qu’avant la peste.

Mais que faut-il penser des régions dans lesquelles les rayons des supermarchés sont déjà vides, comme au Moyen-Orient où les guerres continuent et où même les murs n’arrêtent pas le virus. Le 10 mars, il y avait déjà 26 cas à Bethlehem. Mazin Qumsieh, un professeur palestinien qui y vit et dont je reçois les courriers hebdomadaires écrivait : « Même si le nombre de cas y est bien moindre qu’en Israël, les restrictions ont augmenté dans nos ghettos. Les Palestiniens qui y vivent sont bloqués, alors que les colons, qui habitent les lieux, sont libres de se promener où ils veulent… La Grèce et la Turquie jouent au football avec les réfugiés syriens et le génocide arabe se poursuit au Yémen, et je tremble à l’idée de ce qui arrivera lorsque le virus aura atteint des contrées aussi dévastées que le sont la Syrie, le Yemen et la Libye. »

Le 14 mars, 1 400 habitants de Gaza, dont on pense qu’ils pourraient être infectés, sont mis en quarantaine, mais Gaza manque de lits d’hôpital. Les autorités israéliennes n’ont pas discuté la possibilité de prendre les malades des territoires occupés et de Gaza, « en partie par peur de ne pas avoir de la place dans les hôpitaux israéliens si la crise s’aggravait » (1).

Le chaos règne dans les prisons iraniennes, et les prisonniers qui ont des peines de moins de cinq ans sont relâchés, pour faire de la place aux malades en quarantaine (2).

Et lorsque le premier cas de coronavirus a été annoncé à Kinshasa, République Démocratique du Congo, les détails transmis par le Ministère de la Santé étaient erronés. De toute façon, les médecins refusent de travailler, parce qu’ils ont peur (3), ça promet !


(1). Hagar Shezaf, As Israel prepares for coronavirus in the Palestinian territories and Gaza, raises dilemmas, March 14, 2020.

(2). Patrick Wintour, British-Iranian prisoner tells of coronavirus chaos in Iranian jail, The Guardian, 12 March 2020.


(3). Stanis Bujakera, Congo health authorities stumble with first coronavirus case confusion, Reuters, March 14, 2020.

4 commentaires:

  1. Pas drôle comme perspectives. Bien réelles ! Reste à lire le Décameron ou, à défaut, l'Amour au temps du choléra.

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  3. "La peste de Camus"un bon lvre de ma jeunesse intellectuelle. Jamais je n'aurais pensé vivre cela via le corona virus.

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  4. Bonjour Victor,
    Malgré mon positivisme et mon optimisme légendaire, je suis inquiet ... mais je me soigne

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