jeudi 30 avril 2020

Autres réflexions sur le covid-19




Pierre Pestieau

Dépendance chez soi ou en institution

Dans mes travaux sur la dépendance, j’ai de façon persistante, défendu l’idée qu’il fallait augmenter les capacités d’accueil des personnes dépendantes dans des maisons de repos et de soin, ce que nos amis français appellent des EHPAD. La motivation était que face à une dépendance sévère, l’aide informelle des époux et des enfants entraînaient des coûts psychologiques et physiologiques trop importants. Cela reste sans doute vrai. Cependant, le covid-19 nous montre une autre réalité, à savoir le coût énorme en vies humaine que cette pandémie infliges aux résidents de ces institutions.


Les keynésiens de la onzième heure

On assiste à un phénomène  fort intéressant, la conversion, sans nul doute temporaire, des néolibéraux, que ce soit les personnes ou les organisations du type IMF, au keynésianisme. Ce phénomène est apparu après la seconde guerre puis après les différentes crises que nous avons connues. On peut craindre que comme par le passé on revienne vite au bon vieux réflexe du capitalisme qui consiste à mutualiser les pertes et à privatiser les profits.

La solitudes des ainés

A l’occasion du confinement, je passe beaucoup de temps à voir et à revoir des films plus ou moins classiques. Dernièrement, j’ai ainsi revu le film de Bertrand Tavernier « Un dimanche à la campagne » fortement influencé par Renoir, le peintre impressionniste et pas son fils cinéaste. Le personnage principal est Mr Ladmiral un peintre sans réel génie, au crépuscule de sa vie. Il vit seul. Chaque dimanche, il reçoit son fils, un garçon rangé, épris d'ordre et de bienséance, accompagné de son épouse et de leurs trois enfants, et plus rarement, trop rarement,  sa fille Irène, personne énergique et anticonformiste. La préférence du père pour sa fille inconstante est toute aussi évidente que classique. La scène qui a retenu mon attention est celle du départ de la fille et puis du fils. On sent que le père est désemparé, car il sait que dans quelques minutes il va se retrouver seul pour une longue semaine. Mais tout à la fois il tient à rester digne, presqu’indiffèrent. Cette scène m’a sans doute touché parce que je l’ai vécue avec ma mère.

Altruisme descendant

Au-delà de cette anecdote, il y a la réalité d’une asymétrie dans les relations familiales. On observe dans toutes les sociétés que nous aimons beaucoup plus nos enfants que nos parents. Partant, nous leur consacrons davantage de temps et de ressources. Quoi de plus normal. Les enfants représentent l’avenir. Personne ne perd, puisque chacun a été un enfant avant d’être un parent. Ce constat explique pourquoi l’État consacre plus de ressources aux ainés qu’aux plus jeunes. Il compense avec l’appui de la population cette asymétrie dans l’altruisme, notamment par des systèmes de santé et de retraite assez généreux. La crise que nous connaissons cette fois-ci semble indiquer qu’il a failli dans cette tâche à l’égard des personnes âgées institutionnalisées.

Coercition et responsabilité

On peut se demander s’il est indispensable d’obliger les gens à garder leurs distances en cas de pandémie. Pourquoi ne le feraient-ils pas de leur plein gré ? C’est l’hypothèse analysée par plusieurs chercheurs américains (2) sur base de l’expérience de pandémies antérieures, et particulièrement celle de la grippe porcine A / H1N1 en 2009. Leur conclusion est que la responsabilisation pourrait marcher à trois conditions : une information parfaite, l’accès généralisé aux tests de dépistage et des revenus de remplacement pour ceux qui ne peuvent retourner au travail. Ces chercheurs montrent qu’à l’époque de cette grippe porcine, les Américains ont volontairement réduit leur temps passé dans les lieux publics de manière significative, ce qui a permis de sensiblement réduire la contagion.
Pour revenir aux trois conditions qu’ils mentionnent, seules une d’entre elles semble remplie, à savoir une protection sociale qui couvre les gens qui ne sont pas en mesure de travailler. Les deux autres conditions, l’information et le dépistage généralisé, font défaut chez nous.

Endettement insurmontable?

Partout on assiste à une explosion des déficits publics et on craint de faire face à un endettement incontrôlable. Il faut ici raison garder. Si on prend le cas de la France, elle s’attend à une augmentation de 16% de sa dette. Cette augmentation a été de plus de 100% en 1918 et en 1945, de quelque 50% lors de la crise des années 30 et de 33% lors de la crise des subprimes.

Qui va casquer ?

Les premières victimes de la pandémie sont bien sur ceux doivent être hospitalisés avec parfois une issue fatale. A côté de cet aspect humain et d’un point de vue économique, on peut distinguer trois parties dans le jeu des gagnants et des perdants. Il y a d’abord ceux qui ont un statut qui, a priori, les met à l’abri des pertes de revenus, voire d’emplois que la pandémie a entraînés. On pourrait à leur propos ajouter qu’ils y ont gagné dans la mesure où leur dépenses de consommation se réduisent. Il y a ensuite ceux qui verront leurs revenus baisser. Enfin, il y a les générations futures qui auront à assumer l’augmentation de l’endettement public. Au nom de l’équité inter- et intra-générationnelle, il serait normal que ceux que le covid-19 a épargnés prennent leur part au travers d’une cotisation exceptionnelle  et qui doit être temporaire.

(1) Voir aussi sur le même thème de la solitude et de la peinture “L’Heure d’été” d’Olivier Assayas, 2008. 

(2) Bayham J, Kuminoff NV, Gunn Q, Fenichel EP. 2015 Measured voluntary avoidance behaviour during the 2009 A/H1N1 epidemic. Proc. R. Soc. B 282: 20150814.



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