jeudi 3 juin 2021

Les super-centenaires et l’immortalité

Pierre Pestieau.

Avant la Première Guerre mondiale, le Royaume Uni comptait moins de 100 centenaires. En 1917, lorsque le roi George V a envoyé les premiers télégrammes de félicitations pour le 100e anniversaire de ses sujets, Buckingham Palace n'en a envoyé que 24. En 1990, ils étaient 4.062, l'année dernière, 15.834 et en 2050 ils devraient être quelques 55.000. Ce sont les Français qui comptent le plus de centenaires en Europe, près de 20.000. En 2050, il y aura environ 98.000 centenaires en France. Si on s’intéresse au club très fermé des supercentenaires, soit les plus de 110 ans, l’Europe en compte aujourd’hui 112 dont près de la moitié (50) vivent en France. Plus modestement, la Belgique a aussi sa super-centenaire, âgée de 110 ans et liégeoise. Elle a ainsi connu deux guerres mondiales et son lot de maladies. Elle a en effet contracté la grippe espagnole, mais également et plus récemment, la Covid-19.

Le nombre de centenaires et de supercentenaires ne cesse d’augmenter mais tout à la fois l’âge maximum de vie ne semble pas augmenter aussi rapidement. Le record est détenu par la Française Jeanne Calment, qui s'est éteinte à l'âge de 122 ans en 1997. Les femmes sont nettement majoritaires parmi les supercentenaires. Sur les 112 supercentenaires européens, on ne compte que 4 hommes. L'homme le plus âgé dont l'âge a été vérifié est le Japonais Jiroemon Kimura, qui mourut en 2013 à l'âge de 116 ans. Dans la liste des personnes ayant vécu le plus longtemps, il occupe la 20ème place.

En dépit du plafonnement de la longévité, les hommes rêvent de reculer l’âge de la mort aussi loin que possible. C’est l’objectif des transhumanistes qui visent à améliorer la condition humaine à travers des procédés techniques d'amélioration de la vie, ayant pour but l'élimination du vieillissement et l’augmentation des capacités intellectuelles et physiques de l’homme. Dans cette mouvance, on trouve Google qui fonde en 2013 l'entreprise Calico avec comme défi la lutte contre le vieillissement et les maladies associées avec le projet de Tuer la mort.

On ne peut aborder cette volonté de tuer la mort qu’avec prudence. Outre le côté Frankenstein et Prométhée de l’entreprise, elle conduit à une société plus duale encore que celle que nous connaissons. Il faut en outre rappeler que vivre plus longtemps que les autres n’a pas que des avantages. Si Mathusalem avait vraiment vécu les 969 ans qu’on lui attribue, il aurait dû vivre privé de ses contemporains et enterrer une trentaine de générations de descendants.

Les écrivains se sont intéressés de tous temps à la malédiction de l’immortalité, stade ultime de la lutte pour la mort de la mort. On citera Borges qui dans sa nouvelle, L’Aleph (1), narre les mésaventures d’un légionnaire romain qui trouve la source de l’immortalité mais très vite déchante et cherche à tout prix à retrouver son statut de mortel. De manière moins tragique, Saramago (2) nous décrit un pays frappé du jour au lendemain par l’impossibilité de mourir, ce qui conduit au désespoir toute une série de corps de métiers, dont celui des croque morts. Les malheureux ne peuvent même pas se suicider.

Il est difficile, sinon impossible, de prédire l’avenir. Mais je ne puis cacher mon irritation quand j’entends ces futurologues nous annoncer que la science n’a pas de limites et que la médecine régénératrice devrait permettre à l’homme de vivre quasi-éternellement (3). Affirmation d’autant plus ridicule que la Terre, elle, n’est pas éternelle.


(1). Borges, J-L.  L’Aleph (Imaginaire), Paris, Gallimard, 1977.

(2). Saramago, J.  Les Intermittences de la mort, Paris, Le Seuil, coll. « Cadre Vert », 2008

(3). Voir là-dessus Kahn, A. et F. Papillon, Le secret de la salamandre ; la médecine en quête d'immortalité, Pocket Best #12894, 2007.

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