jeudi 17 juin 2021

La juste dépense

Pierre Pestieau

Dépense-t-on suffisamment pour la santé, la défense nationale, la culture, la dépendance des vieux, … ? Voilà une question qui revient régulièrement, surtout à l’occasion d’une crise. La crise causée par le covid-19 a mené plus d’un à suggérer qu’il faudrait augmenter le budget santé. On se plaint de ne pas dépenser assez pour l’armement dès qu’il y a une crise qui menace la sécurité. En fait si l’on rassemblait les acteurs-clefs des différents secteurs de la vie sociale et qu’on leur demandait combien dépenser dans leur secteur, il est à parier que l’on aboutira à une enveloppe budgétaire nettement supérieure au PIB.

Pour connaître le montant idéal qu’il faudrait consacrer à un bien ou à un service, l’économiste recourt au concept de volonté de payer (VDP ). La VDP est le prix maximum auquel un consommateur achèterait un bien ou un service. Supposons que la société soit composée d’individus identiques. On place ces individus derrière le voile d’ignorance, c’est-à-dire, dans une situation hypothétique dans laquelle ils ont une connaissance précise des probabilités d’événements qui peuvent se produire : épidémie, maladie, guerre, handicaps, chômage, … Sur base de cette information, ils sont disposés à consacrer une fraction de leur revenu à des programmes qui couvrent chacun de ces événements. C’est en recourant à cette approche que deux économistes américains (1) ont suggéré il y a quelques années de consacrer 30% du PIB américain aux soins de santé, bien plus que les 18% actuels, qui eux-mêmes sont nettement supérieurs à ce qui se passe dans les autres pays.

Deux raisons peuvent remettre en question cette approche ou, en tout cas, en compliquer l’application. D’abord, il y a le fait que lorsqu’un risque se concrétise avec une acuité particulière, on a tendance à vouloir y consacrer plus de ressources que si l’on se place derrière le voile d’ignorance. La pandémie du covid-19 a conduit la majorité des individus à réclamer une augmentation des dépenses de santé. Un attentat terroriste entraînera une demande d’augmentation des ressources consacrées à la sécurité intérieure et extérieure. Il est clair que les dépenses réclamées dans ces situations d’urgence ne doivent pas guider une politique soutenable.

Ensuite, il y a l’hypothèse restrictive d’homogénéité des préférences, à laquelle on peut remédier en supposant que la VDP varie selon l’âge et la richesse de la personne concernée. Mais ceci nous mène à adopter une manière d’agréger les utilités des différents individus, ce qui n’exclut pas l’arbitraire. En effet si cette agrégation met l’accent sur les individus les plus défavorisés on obtiendra une VDP fort différente de ce que donnerait une agrégation qui traiterait tous les individus de la même façon.

 
Dans la réalité de nos démocraties, la part du PIB consacrées à tel ou tel besoin n’est pas déterminée par ce type d’analyse mais dépend tout simplement des résultats des élections. Est-ce la meilleure manière ? Hélas non quand on voit le rôle que les groupes de pression et autres lobbies peuvent jouer dans ce type de choix. Mais comme disait Churchill, “la démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes”.

(1). R. HALL et C. JONES, « The value of life and the rise in health spending », The Quarterly Journal of Economics, 122 (1), 2007, p. 39-72.

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