jeudi 9 juin 2022

La maltraitance des personnes âgées est-elle évitable ?

Pierre Pestieau

Selon une étude publiée dans la revue The Lancet Global Health (1), près de 16% des personnes âgées de 60 ans et plus ont déjà été victimes de sévices psychologiques (11,6%), de maltraitance financière (6,8%), de négligence (4,2%), de maltraitance physique (2,6%) ou d’abus sexuels (0,9%). Ces travaux s’appuient sur les meilleures données tirées de 52 études menées dans 28 pays de différentes régions.

En France, le livre de Vincent Castanet (2) a remis la nécessite de réformer les EHPAD sur la table des décideurs politiques. Aux États-Unis, un rapport de près de 600 pages (3) préconise des changements complets dans la conception et le fonctionnement des maisons de retraite. Ces deux ouvrages portent sur la maltraitance institutionnelle mais on sait qu'à l'intérieur des familles les cas de maltraitance sont nombreux.

On peut expliquer la maltraitance mais en aucun cas on ne peut la justifier. La maltraitance dont il est question dans les livres et les rapports est expliquée par la pénurie de personnel et par son manque de formation. Ces deux facteurs se retrouvent dans les EHPAD privés qui sont mus par la recherche des profits et donc compriment au maximum les coûts.

Aux États-Unis le personnel soignant non qualifié peut gagner plus en travaillant chez McDonald's que dans dans une maison de retraite. De nombreux membres du personnel des maisons de retraite ont deux emplois à temps plein juste pour essayer de survivre. Ces personnes gagnent 10 ou 12 dollars de l'heure, ce qui représente entre 20 000 et 28 000 dollars par an. Elles sont épuisées et incapables de fournir des prestations correctes. Le rapport suggère que de meilleurs salaires, avantages sociaux et formations devraient apporter stabilité et dignité à ce type de travail et partant réduire la maltraitance.

La recherche du profit  est souvent invoquée pour expliquer la maltraitance. Et pourtant elle sévit tout autant dans des maisons de retraite sans but lucratif et dans les familles. La maltraitance domestique est souvent amenée par la conjonction d’une dépendance lourde et d’un habitat inadéquat, inconfortable et exigu.

Il demeure que même si les EHPAD disposaient d’un personnel plus nombreux et plus qualifié et si les familles bénéficiaient d’un support efficace, certaines maltraitances continueraient d’être observées. Il y a en effet deux situations dans lesquelles il n’y a guère de solutions évidentes. Il y a d’abord les situations rares où la personne dépendante est d’une méchanceté qui fait perdre patience même à l’aidante la plus altruiste que l’on peut imaginer. On pense ici à la fameuse Tatie Danielle, une comédie française réalisée par Étienne Chatiliez et sortie en 1990. Il y a aussi les situations que l’on retrouve souvent dans les cas de maltraitances institutionnelles ou familiales ; ce sont les cas où la démence et l’incontinence combinées font perdre patience à la personne la plus patiente.

Que faire dans ces situations qui, bien que rares, existent ? Il est bien établi que la solution familiale au domicile est extrêmement risquée. Les aidants proches peuvent non seulement perdre patience mais aussi leur santé comme en attestent de nombreuses études (4). Il faut donc se résoudre à l’institutionnalisation mais dans ce cas, il faut s’assurer d’un personnel qualifié et nombreux pour faire face à une charge de travail épuisante. Une solution partielle pourrait venir des robots dont je parlais dans mon blog précédent et qui ont le gros avantage de ne pas connaître l’exaspération. Un peu comme le GPS qui demeure flegmatique même si vous persistez à ne pas suivre ses conseils.

Dans quelques mois, j’espère pouvoir revenir sur le film Plan 75 récemment primé à Cannes. La réalisatrice japonaise imagine un futur proche, où les plus âgés se verraient proposer l’euthanasie pour limiter les dépenses publiques.

 

(2). Les Fossoyeurs, Grasset, 2022.
(4). Lestrade, Chantal. « Les limites des aidants familiaux », Empan, vol. 94, no. 2, 2014, pp. 31-35.

1 commentaire:

  1. merci Pierre pour cet article qui fait écho à un questionnement à plusieurs niveaux, dont celui de l'économiste de la famille et aussi tu t'en doutes, et aussi, entre autres, celui de la famille (personnelle) de l'économiste... Qu'aurait dit G.Becker de la "maltraitance" ?... Ce terme et l'utilisation à large spectre qu'on en fait aujourd'hui la certainement accédé au rang de grande 'commodity', un 'bad' assurément, avec un prix fictif associé d'une manière ou d'une autre... en tous cas une valeur sociale de grande ampleur... J'ajouterais à la liste de 'cas difficiles' que tu cites ou peut-être en alinéa de l'un des cas 'Tatie Danièle' dont tu parles, celui des enfants qui ont subi la maltraitance de leurs propres parents... Les parents méchants aussi ont été jeunes sont-ils devenus méchants sous l'effet de la maladie, de l'âge... ou l'étaient-ils déjà ?... La société elle-même était plus jeune... et maltraitait, ou en tous cas traitait mal... mais c'était normal..., certains de leurs jeunes et avec la bénédiction de tous. La maltraitance dans les familles pourrait être une forme de culture très locale, c'est à dire : soit une tradition familiale, soit au contraire un champ d'opposition ou les enfants de parents méchants s'orientent autrement et veulent se démarquer ?.... et inversement ?... Merci encore pour ce ton d'ouverture franche et délicate sur des questions difficiles... et aussi pour les références... amicalement Luc

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