jeudi 10 octobre 2024

Un impôt réel pour un loyer fictif

2 commentaires:

Pierre Pestieau

Un ménage propriétaire qui occupe son propre logement n’a pas à payer de loyer en contrepartie. Ce loyer que l’on qualifie d’imputé ou de fictif représente ce que ce ménage propriétaire devrait payer s’il devait louer le logement qu’il occupe. Se pose alors la question de l’inclusion de ce loyer fictif dans l’assiette de l’impôt sur les revenus. Quand je pose la question autour de moi, la réponse se fait en deux temps. D’abord, il me faut expliquer le concept de loyer fictif, dont la signification ne saute pas aux yeux. Dans un second temps, j’obtiens une réaction radicalement négative sous prétexte que l’on paye déjà une lourde taxe sur son logement propre, communément appelée précompte immobilier en Belgique ou taxe foncière en France.

Deux raisons peuvent justifier cet élargissement de la base de l’impôt sur les revenus : une raison qui relève de la neutralité de l’impôt et une seconde qui concerne l’équité. D’abord, il s’agit de rendre les ménages fiscalement indifférents, entre la location et la propriété. Le propriétaire non fiscalisé sur les loyers fictifs est en effet traité plus favorablement que celui qui n’a pas investi son épargne dans un logement mais l’a placée en bourse, pour rester locataire. En effet, celui qui est resté locataire est soumis à la fiscalité du capital.

La seconde raison avancée pour la fiscalisation des loyers fictifs est qu’elle permettrait d’avoir une imposition davantage redistributive qui couvre l’ensemble des revenus du ménage. L’impôt sur le revenu qui est basé sur le principe de la capacité contributive est en effet progressif. Plus le revenu augmente, plus l'imposition est importante. En revanche, le précompte immobilier est lui basé sur le principe du bénéfice, selon lequel l’impôt doit être établi en fonction des avantages que le contribuable retire des services publics qu’il finance. De ce fait, le taux de prélèvement est d’autant plus bas que la commune est riche, ce qui rend le précompte immobilier régressif. Plus le revenu augmente, moins l'imposition est importante.

La revue Économie et Statistiques de l’INSEE a récemment publié une étude (1) qui estime ce que rapporterait la fiscalisation des loyers imputés en France. Cet article a un sous-titre éloquent : Un cadeau pour Harpagon. Cela se situerait entre 9 et 11 milliards d’euros, soit environ 10% de ce que rapporte l’impôt sur le revenu. Cette même étude indique que cette fiscalisation impacterait surtout les personnes âgées et les hauts revenus. L’impôt sur le revenu étant plus important en Belgique, le rendement de cette réforme y serait aussi plus élevé.

En résumé, la fiscalisation des loyers fictifs serait souhaitable du point de vue de l’équité et de la neutralité de l’impôt. Serait-elle populaire ? Évidemment non. Mais il est possible de rendre cette réforme politiquement acceptable en utilisant les recettes ainsi obtenues pour réduire le précompte immobilier et pour financer le logement social.

Ce qui m’étonne est la frilosité des économistes, même les plus progressistes, à l’égard de cette imposition qui coche pourtant toutes les cases qui font un impôt juste et efficace. On trouve la même frilosité à l’égard des droits de succession. Il y aurait comme un tabou dès qu’il s’agit du patrimoine familial. 

La France se trouve aujourd’hui confrontée avec la nécessité de trouver de nouvelles recettes. Imposer ces loyers fictifs permettrait de réduire en partie son déficit budgétaire abyssal et ferait plus que compenser la suppression de la taxe d’habitation accordée il y a quelques années par Emmanuel Macron pour on ne sait quelle raison.


(1). Montserrat Botey & Guillaume Chapelle (2014), La non-imposition des loyers imputés : un cadeau pour Harpagon ? Une estimation dans le cas de la France / Non-Taxation of Imputed Rent: A Gift to Scrooge? Evidence from France, Economie et Statistique / Economics and Statistics #541.



jeudi 3 octobre 2024

Socialite et pas socialiste

1 commentaire:

Pierre Pestieau

Socialite’ est un mot anglais, qui se traduit par mondain. J’ai eu récemment l’occasion de visiter la propriété du parangon des ‘socialites’ américaines. Il s’agit de Marjorie Merriweather Post, née à Springfield dans l’Illinois et décédée en 1973, à Washington DC. Elle fut pendant de nombreuses années la femme d’affaires américaine la plus riche. Elle était la propriétaire de la fameuse firme General Foods.



Elle a utilisé une grande partie de sa fortune pour collectionner des œuvres d'art, en particulier de l'art russe pré-révolutionnaire et de nombreux objets ayant appartenu à Marie Antoinette. Une grande partie de ces œuvres est aujourd'hui exposée dans une de ses propriétés, l’Hillwood Estate, Museum & Gardens, qui comme son nom l’indique est devenue un impressionnant musée, situé aux confins de Washington.

La visite du musée comme celle des jardins était intéressante ; elle vaut le détour. Il demeure qu’elle entraîne un certain malaise pour deux raisons. D’abord, il semble étrange, anachronique, de consacrer autant de ressources à commémorer deux époques qui furent loin d’être les plus démocratiques et partageuses de l’Histoire de l’Europe, et qui d’ailleurs furent l’une et l’autre suivies de deux des révolutions les plus marquantes.

La seconde raison est sans doute plus substantielle. Tout au long de la visite, la guide ne cessait de nous vanter la générosité de cette femme qui avait consacré une important fraction de sa fortune au bien-être de l’humanité, alors qu’elle aurait pu la consacrer à son intérêt propre. Cet argument se retrouve dans les brochures que l’on reçoit au début de la visite. Il appelle deux réactions. D’abord, on sait que les multimilliardaires ne pourraient consacrer qu’une infime partie de leur richesse à la consommation la plus somptuaire que l’on puisse imaginer. Ensuite, penser que les ultrariches contribuent plus au bien-être social par leurs donations que si leur richesse avait été taxée et du coup utilisée par l’État pour ses dépenses courantes est une idée qui est largement répandue dans les milieux conservateurs aux États-Unis et ailleurs. Cette idée que les riches savent mieux que l’État ce qui est bon pour la société ne tient pas la route.

Il est malheureusement de plus en plus fréquent d’entendre des gens prétendre que les individus contribuent plus efficacement au bien-être collectif par leurs dons à des œuvres de bienfaisance, à la recherche scientifique ou à des œuvres artistiques que l’État agissant dans les mêmes domaines. Cette théorie se heurte à deux réalités. D’abord, les donations privées, surtout quand elles émanent de milliardaires, sont orientées vers des objectifs spécifiques qui n'ont pas l’universalité de la politique publique. En outre, on sait que si les taxes étaient remplacées par des contributions volontaires, le phénomène du passager clandestin conduirait à des montant nettement plus faibles.

La conclusion est évidente et sans surprise : des ‘socialites’ comme Mme Merriweather Post sont loin d’être des socialistes.