Pierre Pestieau
Au soir de sa vie, Baumgartner, le héros du dernier roman de Paul Auster, s’interroge sur l’avenir qui lui reste.
« Car le temps compte désormais, et il n’a pas la moindre idée de combien il lui en reste. Pas seulement combien d’années avant de passer l’arme à gauche, mais plus précisément, combien d’années de vie active et productive avant que son esprit ou son corps ou les deux ne commencent à le lâcher et qu’il ne se change en idiot incompétent, perclus de douleurs, incapable de lire ou de penser, de se rappeler ce qu’on lui a dit quatre secondes plus tôt ou de rassembler assez d’énergie pour bander, chose horrible qu’il ne souhaite pas envisager. Cinq ans ? Dix ans ? Quinze ans ? Les jours et les mois filent devant lui de plus en plus vite à présent, et le temps qui lui reste passera de toute façon en un clin d’œil. »
Cette incertitude constitue une des différences entre la jeunesse et la vieillesse. On peut assez précisément distinguer l’enfance de l’adolescence. En revanche, la durée des deux étapes de la vieillesse, celle de bonne santé et d’autonomie et celle de dépendance et de divers handicaps, ne peut l’être. Certes on peut dire qu’en moyenne, dans un pays donné et à une période donnée, à partir de 65 ans, la première étape dure 10 ans et la seconde 8 ans. Mais ce ne sont que des moyennes statistiques. Individuellement, la durée de la vieillesse et le partage entre ces deux étapes varient énormément. Certains peuvent perdre toute autonomie dès 65 ans et ne vivre que quelques années et d’autres rester autonomes pendant plusieurs décennies et ne connaitre qu’une courte période de dépendance.
Il est clair que cette vision binaire de la vieillesse est discutable. Selon cette vision, la première phase voit les individus garder une bonne santé physique et mentale, conserver un haut degré d'indépendance et participer activement à des activités sociales, récréatives et peut-être même professionnelles. Ils n'ont que des problèmes de santé mineurs, voire aucun, et les gèrent efficacement avec des examens réguliers et un mode de vie sain. Ils s'engagent souvent dans des exercices physiques, maintiennent une alimentation équilibrée et possèdent un réseau social solide. Ils continuent souvent à profiter de leurs loisirs, à voyager, à faire du bénévolat et à participer à des engagements familiaux. Les fonctions cognitives restent vives.
La seconde phase est marquée par des problèmes de santé significatifs, une diminution des capacités physiques et cognitives, et une dépendance accrue envers les autres pour les activités quotidiennes et les soins. Les maladies chroniques, les problèmes de mobilité et le déclin cognitif (comme la démence) deviennent plus fréquents. La personne âgée peut avoir des visites médicales fréquentes, des hospitalisations et nécessiter une gestion continue des médicaments. Sa participation aux loisirs et activités sociales précédents peut diminuer considérablement. Un soutien significatif est nécessaire, allant de l'aide aux activités quotidiennes (se laver, s'habiller, manger) à des soins à temps plein. Ce soutien peut provenir de membres de la famille, de soignants professionnels ou de résidences de soins assistés.
En général, on ne passe pas d’une phase à l’autre brusquement. Le plus souvent à moins d’un épisode comme un AVC, la transition est progressive. Le déclin physique et cognitif peut être lent, quasiment imperceptible. Il existe des échelles, typiquement celle de Katz (1) largement utilisée, qui permettent de déterminer le degré de dépendance d’une personne et donc d’évaluer si l’on se trouve ou pas dans la seconde phase de la vieillesse.
Il est important de noter que si on n’est pas capable de connaître le moment où une personne âgée bascule dans la dépendance lourde, on est encore moins capable d’évaluer le moment où elle passerait d’un état de bien-être à un état de tristesse. J’ai déjà eu l’occasion dans un blog précèdent (2) d’indiquer que l’on peut être lourdement dépendant et pourtant heureux et en parfaite santé et malheureux. Or n’est-ce pas cela qui compte ?
(1). L’échelle de Katz permet d’évaluer le degré de perte d’autonomie ou de dépendance de la personne âgée. L’évaluation se fait sur la base de différentes variables permettant de déterminer le niveau de dépendance de la personne. Les critères d’évaluation concernent les domaines suivants:
- se laver
- s’habiller
- transferts et déplacements
- aller à la toilette
- continence
- manger
(2). Bonheur, santé et autonomie, jeudi 1er juin 2023
Merci Pierre de rappeler que l'on peut être heureux en étant dans une situation de dépendance physique !
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