samedi 7 mai 2011

Le temps des surprises et le temps des cerises ?

Victor Ginsburgh

Dans le bon vieux temps, les anticipations des agents économiques concernant le futur étaient censées être « naïves » : on pensait que le futur pouvait être « prévu » sur base du passé. Ceci avait pour effet que certaines interventions du gouvernement dans l’économie pouvaient réussir parce qu’elles « surprenaient » les agents qui ne les avaient pas ou mal prévues. Durant les années d’après-guerre, et ce jusqu’à la crise pétrolière des années 1970, on a fini par croire que les gouvernements pouvaient conduire l’économie comme on conduit un avion, un petit coup de manette par ci, un autre par là, et le bon cap était gardé. Il a fallu déchanter par la suite.

Les économistes ont alors émis l’hypothèse que les agents, aidés en cela par les informations de plus en plus nombreuses sur la situation économique, étaient devenus moins naïfs, et avaient appris à prévoir de façon « rationnelle » (1), y compris les actions futures que pourrait prendre le gouvernement. Ils changent alors leur comportement avant même que la mesure gouvernementale ne soit prise et, lorsqu’elle arrive, elle n’a plus d’effet (ou des effets réduits). Par conséquent, disent les tenants de cette théorie, la politique économique ne sert à rien, et le gouvernement doit laisser les marchés « se débrouiller ».

La vérité est, comme toujours, entre les deux extrêmes. Que les marchés ne puissent se passer d’intervention est tout à fait évident et la dernière crise nous l’a montré à suffisance. Mais l’idée que certaines officines, ni toujours très honnêtes, ni toujours très désintéressées, soient officiellement habilitées à fabriquer nos anticipations est choquante.

Il y a particulièrement lieu de s’inquiéter lorsque ces officines sont les « agences de notation », les Moody’s et Standard and Poor’s de ce monde qui aujourd’hui menacent, sans sourciller, de dégrader la note de la Belgique à la mi-juin, si les partis politiques ne parviennent pas à former un gouvernement capable de mener « une vraie politique à long terme, concernant notamment le financement du vieillissement de la population » (2). Une dégradation de la note, pourrait ajouter la Belgique à la liste des pays-catastrophe (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne) et, au lieu de réduire les effets de la crise, augmenter ceux-ci, non seulement en Belgique, mais dans toute la zone Euro.

Deux remarques à ce propos. Premièrement, la population n’a pas commencé à vieillir après les élections de juin 2010. Il y a 15 ou 20 ans que certains économistes belges, dont mon collègue blogueur Pierre Pestieau, prévoient la catastrophe à laquelle nous mène cet aveuglement à ne pas changer la politique des retraites. Moody’s et Standard and Poor’s viendraient-ils eux de s’en rendre compte ? Si menace il y a, alors ces superflics auraient pu et dû intervenir il y a des années et non pas en plein milieu d’une crise mondiale qui est loin d’être résolue. Deuxièmement, s’il est vrai que la Belgique n’a pas de gouvernement, elle se porte néanmoins mieux que beaucoup d’autres pays de l’Union Européenne, et on pourra difficilement accuser le gouvernement Leterme de n’avoir pas pris ses responsabilités, dans les matières où il pouvait le faire. Selon l’OCDE, la Belgique est un des plus heureux des pays membres (4). Mais alors pourquoi la dégrader ?

Aujourd’hui, il n’y a plus d’anticipations « naïves » ni d’anticipations « rationnelles ». Il y a les agences de notation, ces Frankenstein modernes que nous avons créés qui nous imposent leurs anticipations. Puisque ces Frankenstein le disent, cela doit être vrai et, nécessairement, se réalise, même s’ils se trompent et/ou sont malhonnêtes et nous trompent (4). Il serait temps que leurs créateurs les suppriment.

Quand viendra-t-il donc, le temps des cerises ?

(1) L’hypothèse plus technique est qu’« en moyenne », les agents ne font pas d’erreur de prévision.

(2) RTB, 26 avril 2011. Voir http://www.rtbf.be/info/economie/detail_standard-and-poor-s-pourrait-elle-degrader-la-note-de-la-belgique?id=6004003

(3) Pour ce qui concerne leur honnêteté voir mon blog du 20 mars 2011, Le patron des patrons et les agences de notation.

(4) Voir le blog de Pierre Pestieau, Zygo ou le bonheur est dans le blé, 7 mai 2011.

1 commentaire:

  1. Victor Ginsburgh8 mai 2011 à 11:18

    L’agence S&P ne baissera pas la note de la Belgique

    L’agence de notation américaine Standard & Poor’s (S&P) n’envisage plus d’abaisser à court terme la solvabilité de la Belgique. Yves Leterme n’a pas pu cacher sa satisfaction sur Twitter.

    L’agence de notation américaine Standard & Poor’s ne va pas abaisser à court terme la solvabilité de la Belgique, a appris la rédaction du Belang van Limbourg à bonne source.

    L’information se trouve également dans la Gazet van Antwerpen Les raisons sont les bonnes prestations économiques de notre pays. Ce qui joue aussi un rôle, ce sont les négociations sur la réforme de l’État, dans lesquelles le transfert des leviers sociaux-économiques est pris en compte. C’est important pour l’assainissement des finances des autorités, le renforcement de l’emploi et la réforme des pensions.

    Le Soir, rédaction en ligne
    samedi 07 mai 2011, 21:51

    J'ai été victime d'une distraction, à moins que ce ne soit S&P qui a eu connaissance de mon blog avant qu'il ne soit publié

    RépondreSupprimer