samedi 18 juin 2011

Corruption et auto flagellation

Pierre Pestieau

Depuis quelques années, j’ai la chance de participer aux réunions du Consortium pour la recherche économique en Afrique (CREA). Ces réunions, généralement organisées à Nairobi donnent l’occasion à une centaine de chercheurs de l’Afrique subsaharienne de présenter leurs travaux, portant le plus souvent sur des questions d’économie appliquée. Chaque fois que je sors d’une réunion les phrases qui me reviennent à l’esprit sont du type : Le Nigeria est le pays qui a l’économie souterraine la plus importante ou le Togo compte parmi les pays les plus corrompus au monde.

Je ne nie pas que l’Afrique connaisse de sérieux problèmes de gouvernance et d’informalité et que ces problèmes puissent expliquer en partie ses difficultés de décollage économique. Il est important d’en parler, d’y remédier mais comme en tout, avec modération.

Ces deux maux, la corruption et l’informalité, ne peuvent être sérieusement quantifiés. Certes il existe des indicateurs mais leur validité—surtout ceux qui cherchent à quantifier les activités souterraines—est douteuse. Les chercheurs africains que je côtoie ont tendance à prendre ces indicateurs pour argent comptant et n’hésitent pas à les utiliser et en abuser dans leurs modèles statistiques sans bien en reconnaître les limites. Cela rappelle ce personnage qui passe sa vie à confesser ses péchés mais donne l’impression qu’il se complait dans cet état de grand pécheur.

Je donnerai comme exemple celui d’un travail présenté lors de la dernière réunion bisannuelle. Il s’agit d’une étude portant sur les services de santé au Cameroun. Les auteurs essaient de mesurer l’intensité de la corruption dans plusieurs hôpitaux camerounais. Ils ont procédé à une enquête auprès d’un échantillon de patients. Parmi les questions posées, j’en ai retenu deux : Arrive-t-il que le médecin de l’hôpital auquel vous téléphonez pour un rendez-vous, vous en propose un plus rapide dans son cabinet privé ? Les médecins vous demandent-ils parfois des honoraires supérieurs aux honoraires affichés ? Si la réponse aux deux questions est affirmative, le chercheur considère que le patient a été victime de corruption et que l’hôpital est corrompu. On peut certes regretter ce type de comportement de la part du corps médical mais je doute qu’il soit qualifié de « corrupteur » dans les nombreux pays développés où il se pratique. Il me semble qu’en Afrique du fait de la réalité mais aussi d’une campagne continue des organisations internationales et centres de développement on tend à voir de la corruption partout même là où elle n’existe pas. Paradoxalement, cela rassure et rend fataliste. Un fatalisme qui rappelle celui des romanciers siciliens à propos de leur île (1).

L’analogie avec la Sicile me paraît utile parce qu’outre un fatalisme démobilisateur, on trouve souvent chez les économistes africains l’idée que les « corrompus » ce sont les autres, alors que nous participons tous de ce système dès que l’on atteint un certain niveau de revenu. Cette remarque s’applique d’ailleurs à tous les pays et au premier chef au nôtre (2).

(1) Je pense à Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Leonardo Sciascia et Andréa Camilleri.

(2) Par curiosité j’ai consulté le classement de Transparency International 2010. Le pays le moins « corrompu » sur 178 serait le Danemark (9,3) ; le plus « corrompu », la Somalie (1,1). La Belgique est classée 22ème avec un score de 7,2 (devant les Etats Unis et derrière le Chili) et le Cameroun, 146ème avec un score de 2,2.

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