mardi 16 janvier 2018

L'Etat providence : défense et illustration 1


Pierre Pestieau

L’Etat providence n’a jamais été autant décrié qu’aujourd’hui et pourtant il n’a sans doute jamais été aussi nécessaire. Les critiques qu’il doit essuyer viennent de ceux qui veulent en réduire la voilure comme de ceux qui le trouvent inefficace à remplir ses principales missions. Les multiples fractures sociales qui ont conduit un partie de la population à douter de politiques censées la secourir et de basculer dans le vote populiste redonne toute sa justification à un Etat providence plus performant et soucieux de combler le fossé séparant une certaine tranche de la population socialement intégrée  d’une autre, composée d’exclus.

Dans un ouvrage éponyme de ce blog, nous traitons de ces questions. Nous commençons par montrer que le contexte actuel est bien diffèrent de celui que l’Etat providence a connu au moment de son essor, après la seconde guerre mondiale. Les principaux changements concernent l’ouverture des frontières, le marché du travail de plus en plus précarisé, la structure familiale éclatée et l’individualisme croissant. Auxquels il faut ajouter le vieillissement démographique et un net ralentissement de la croissance. Ces différents changements qui menacent la pérennité de l’Etat providence appellent des réformes profondes.


Dans un second temps, nous dressons le portrait social des pays européens et analysons la performance de leurs Etats providence face aux obstacles qui viennent d’être évoqués. Le résultat est plutôt surprenant. Il apparaît en effet que jusqu’à un passé récent, à savoir 2015, la performance de l’Etat providence est satisfaisante. Elle n’a cessé de croître et on assiste à une nette convergence entre pays européens. Certes les différences demeurent avec les pays nordiques comme premiers de classe et, comme derniers, la Bulgarie, la Roumanie et la pauvre Grèce.

Ce bilan satisfaisant et qui va à l’encontre de jugements hâtifs et idéologiques souvent émis ne doit pas nous faire oublier que les menaces demeurent, sans doute plus vives que dans le passé. Ces menaces appellent des réformes urgentes et difficiles, qui se heurtent souvent à un certain conservatisme social et au souci d’un grand nombre de citoyens qui veulent maintenir leurs droits acquis.

Nous passons ensuite en revue les différentes composantes de l’Etat providence et indiquons les voies de la réforme. Qu’il s’agisse de la santé, des retraites ou de l’emploi, notre souci est double : assurer la soutenabilité financière et garantir aux plus démunis un filet de sécurité aux mailles les plus serrées possible. Sous cette double contrainte, nous proposons des programmes qui soient davantage proactifs, engageant la responsabilité des citoyens. Pour assurer la pérennité financière et politique de l’Etat providence, il importe que tous les citoyens soient concernés et de ce fait, il faut se garder de limiter les prestations aux seuls pauvres. C’est le fameux paradoxe de la redistribution qui peut se résumer par la formule lapidaire : Un programme pour les pauvres tend à devenir un pauvre programme.

Dans une dernière partie, nous observons l’impasse dans laquelle se trouve un Etat providence dont  le bilan global est favorable mais qui semble incapable de  résorber la fracture sociale, une réalité qui gangrène nos sociétés depuis une décennie. Elle est à l’origine du climat délétère qui pèse sur nos démocraties. Un climat dominé par la défiance à l’égard d’autrui et plus particulièrement à l’égard de toute forme d’autorité. La fracture sociale est une réalité complexe et c’est cette complexité qui empêche de la combattre efficacement. Quelles que soient les définitions qu’on lui donne, elles ont toutes un point commun : le sentiment de déclassement, de destitution, de mise à l’écart des personnes qui sont du mauvais coté de la fracture.

La toute première fracture est celle qui s’articule autour du revenu et de la richesse. Il y aussi celle qui tourne autour de la santé et de l’emploi. Il y a encore la fracture médicale créée par les déserts médicaux, la fracture numérique qui exclut ceux qui ne peuvent pas avoir accès à la révolution digitale et la fracture identitaire qui oppose ceux qui se sentent menacés par la globalisation et l’immigration et ceux qui au contraire y voient une opportunité. Une autre fracture largement étudiée est géographique. C’est celle qui oppose les gens des centres villes à ceux des banlieues et des campagnes.

La fracture sociale n’est pas une réalité statique. Il est clair qu’un concept comme celui de déclassement appelle une approche dynamique. Pour certains la croissance des inégalités, la mobilité descendante, l’écrasement du pouvoir d’achat des salaires face à l’augmentation des prix des biens immobiliers, la paupérisation de cohortes entières de jeunes surdiplômés et la globalisation porteuse d’une montée aux extrêmes de la concurrence forment ensemble ce que Louis Chauvel** appelle une spirale de déclassement aux effets potentiellement dévastateurs.

La fracture sociale dont il est question dans la presse et dans les débats politiques est, on le voit, un concept pluriel et multicausal. On ne pourra la resorber qu’en tenant compte de cette complexité. Ce qui necessite de cerner le problème et d’adopter un ensemble de politiques dont chacune s’adresse à une des tentacules de cette hydre qui menace le devenir de nos sociétés.

Certes cela ne veut pas dire qu’il faut jeter aux oubliettes les outils classiques de l’Etat providence que sont la politique sociale, l’assurance maladie  et l’assurance chômage, les régimes de retraite et d’invalidité. Cela veut dire aussi qu’il faut attacher plus d’attention  à ceux qui se sentent laissés de côté, ce qui n’est pas ujniquement une question financière.

* Mathieu Lefebvre et Pierre Pestieau, L'Etat providence : Défense et illustration, Presses Universitaires de France – PUF, 2017.
**Louis Chauvel, La spirale du déclassement, Essai sur la société des illusions, Paris: Seuil, 2016.




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