mardi 9 juin 2020

La bourse ou la vie : un arbitrage délicat


Pierre Pestieau

Le covid-19 nous a infligé une double peine : les morts d’une part, les pertes de revenus et destructions d’emplois d’autre part. En reportant le confinement, on réduit la première mais on alourdit la seconde. La décision de ne pas confiner ou de déconfiner implique un arbitrage entre limiter le nombre de morts et maintenir à flot l’emploi et les revenus. Dans un article paru dans le New York Times du 28 mai (1),  Paul Krugman, professeur à l’Université de Columbia, discute de cet arbitrage en utilisant la valeur de la vie humaine à laquelle les pouvoirs publics recourent régulièrement dans leur politiques d’infrastructure des transports et de protection de l’environnement. Aux États-Unis, ces politiques sont guidées par le concept de valeur d'une vie statistique. Les estimations actuelles sont d'environ 10 millions de dollars pour une vie moyenne.

Dans la mesure où les décès de Covid-19 ont été concentrés chez les plus âgés, dont l’espérance de vie est évidemment inférieure à l’espérance de vie moyenne, Krugman suggère d’attribuer à leur vie une valeur de 5 millions de dollars. Si le confinement avait était imposé une semaine plus tôt aux États Unis, cela aurait permis de sauver 36.000 vies. Un calcul rapide suggère que le gain monétaire de ce confinement anticipé aurait représenté au moins cinq fois le coût de la perte de PIB. Cette conclusion amène Krugman à se demander pourquoi le pays se précipite tant pour déconfiner.

Le raisonnement est simple : reportons le déconfinement et nous perdons de l'argent ; déconfinons  prématurément et nous risquons une deuxième vague qui non seulement tuerait de nombreux Américains, mais forcerait probablement un reconfinement encore plus coûteux. Krugman s’étonne que l'administration Trump n'essaie pas de justifier sa volonté de réouverture en termes d'une analyse des coûts et des avantages. D’après lui, cette administration ne croit pas en ce type d’analyse. Interrogé sur cette étude de Krugman, qui suggère qu'une action antérieure aurait sauvé de nombreuses vies, Trump aurait répondu que « Columbia est une institution libérale et honteuse ».

Une étude du FMI (2) confirme le point de vue de Krugman en évaluant, pour une série de pays, le gain en vies humaines qu’a entraîné le confinement. En Nouvelle Zélande par exemple, le nombre de morts aurait été 10 fois plus élevé si le pays n’avait pas adopté une politique stricte. La plupart des pays ont été plus prudents en confinant plus tôt que les Américains et en déconfinant plus tard. Je doute que ces décisions sont  basées sur la méthodologie de Krugman, en tout cas pas explicitement. Elles semblaient en tout cas animées par un plus grand respect de la vie.

Même si la quasi-totalité des victimes du covid-19 sont des seniors, il serait erroné d’affirmer que ce sont eux qui ont le plus souffert de la pandémie. Dans un article du Monde du 30 mai (3), Lena Konc reformule cet arbitrage entre santé et économie pour en faire un arbitrage générationnel. Pour elle, opter pour ou contre le confinement revient à « se positionner pour la sauvegarde du système sanitaire, et a fortiori la limitation de la mortalité des populations plus âgées, ou mitiger des risques économiques affectant en priorité les plus jeunes, par une stratégie dite de l’immunité collective ». Il semblerait, qu’à la différence de la plupart des Européens, les Américains ont donné la priorité aux générations les plus jeunes et à la sauvegarde de leur qualité de vie, au nom d’une idéologie où la liberté et la responsabilité l’emportent sur les droits sociaux.

L’avenir nous dira ce que cet arbitrage donnera. Il se pourrait que finalement les Américains subissent une double peine : une forte récession et une choquante surmortalité des seniors.







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