jeudi 4 mai 2023

Les droits acquis du grand père

Pierre Pestieau

Au cours du débat sur la réforme des retraites, il est beaucoup question de la clause du grand-père. Cette clause revient à ne faire subir les effets d’une réforme qu’aux nouveaux venus, en l’occurrence les nouveaux cotisants. Cela devrait en principe éviter d’avoir contre soi la majorité des électeurs qui grâce à cette clause sont épargnés des conséquences négatives de la réforme, augmentation des cotisations ou réduction des prestations. Dans le cas de la France, cela n’a visiblement pas marché pour des raisons diverses : altruisme, méfiance, incompréhension, ras le bol généralisé. Les quatre sans doute.

Plus généralement, la clause du grand-père signifie que l’on décide de ne pas toucher aux droits et aux acquis des personnes bénéficiaires de certains dispositifs, mais de les modifier et de les appliquer aux nouveaux entrants dans le système concerné par ces modifications.

À l'origine , la clause du grand-père (grandfathering) trouve ses racines dans l'histoire raciale de l'Amérique. En 1870, pour contourner l’interdiction de discrimination raciale en matière de vote qui venait d’être ratifiée, plusieurs États du Sud ont créé des conditions - tests d'alphabétisation, taxes de vote et quiz constitutionnels - destinées à empêcher les Noirs de s'inscrire sur les listes électorales. Mais de nombreux Blancs pauvres du Sud risquaient également de perdre leurs droits parce qu'ils n'auraient pas pu répondre à ces exigences. En exemptant de ces tests les citoyens dont les ancêtres (les grands-parents) avaient eu le droit de vote avant 1867, ces États ont permis aux Blancs pauvres et analphabètes de continuer à voter.

Mais revenons à l’histoire contemporaine. Je suis étonné que la majorité des gens estiment que cette clause est légitime et qu’il est du devoir de l’État de garantir les droits acquis, particulièrement dans le domaine des retraites. Prenons l’exemple d’une famille de la classe moyenne. Elle a choisi de verser à la mère veuve du mari une mensualité qui correspond à 10% du son revenu net. Subitement, ce fils modèle perd son emploi et les revenus de la famille sont réduits de moitié. Il semblerait logique de diminuer la mensualité dont il vient d’être question, peut-être pas de la moitié mais d’un certain montant.

Le système par répartition sur lequel repose nos retraites peut être perçu comme un contrat social par lequel les travailleurs s’engagent de verser une certaine fraction de leurs salaires à leurs contemporains retraités avec la promesse qu’une fois qu’ils sont eux-mêmes retraités, la génération suivante s’acquittera de cette obligation. Supposons par exemple que le rapport entre le nombre de travailleurs et celui des retraités soit de 2. Supposons en outre que la durée de la vie active soit le double de la durée de la retraite. Si les travailleurs versent un cinquième de leurs revenus comme contribution au système de retraite, les retraités toucheront un somme équivalente à 80% des revenus de la population active. Il va sans dire que ce sont là des moyennes et que les effets redistributifs jouent un rôle important mais que j’ignore pour les besoin de la démonstration.

Nous faisons maintenant l’hypothèse que soudainement se produise un double choc démographique équivalent au passage du baby-boom au baby-bust et à une rapide augmentation de la longévité. Ce choc a pour conséquence que le rapport actifs/retraités tombe à 1,5 et que le rapport entre durée de vie active/durée de la retraite passe aussi à 1,5. On suppose que les revenus des actifs ne changent pas. Avec cette nouvelle donne, pour assurer aux retraites des pensions inchangées (dans le jargon, on parle de prestations définies), il faudrait quasiment doubler le taux de cotisation des travailleurs. (1) C’est ce à quoi conduirait la clause du grand père. Est-ce juste ? Poser la question revient à y répondre.

Notons pour terminer qu’aujourd’hui du fait de son origine honteuse, le terme « grandfathering » est de moins en moins utilise aux États Unis, correction politique oblige. Nous pourrions faire de même et revenir aux bons droits acquis.




(1). Initialement on comptait 4 travailleurs pour un retraité (2x2) ; on compte maintenant 2,25 travailleurs pour un retraité. Dans le jargon on parle de ratio de dépendance. Si l’on a un système par répartition à prestations définies, cela veut dire que si l’État s’engage à donner aux retraités 80% du revenu des actifs (taux de remplacement), il faut nécessairement augmenter le taux de cotisation des actifs. Avant le choc démographique, chaque actif versait 20% de son revenu et comme il y avait 4 actifs pour un retraite, cela donnait 80%. Si on veut maintenir ce taux de remplacement avec 2,25 actifs par pensionné, le taux de cotisation doit passer à 35%.

1 commentaire:

  1. Merci pour la lesson d'histoire et mathematique. J'ai bien apprecier.

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