jeudi 9 mai 2024

Gaza

Victor Ginsburgh et Pierre Pestieau

Gaza ou Azzah qui, en hébreu, signifie « puissante » ou « lieu fortifié » a été, de temps à autre, une très belle ville au cours des trois ou quatre mille années de son existence, mais elle a sans doute été plus souvent dévastée que vivante. Son nom apparaît dans onze livres de l’Ancien Testament : la ville y est souvent détruite. En voici quelques exemples :

Deutéronome : « Les Avviens, qui habitaient dans des villages jusqu'à Azzah, furent détruits par les Caphtorim, qui s'établirent à leur place » ;
Josué : « Josué les battit de Kadès-Barnéa à Azzah ; il battit tout le pays de Gosen jusqu'à Gabaon »;
Juges : « Juda s'empara encore de Azzah et de son territoire, d'Askalon et de son territoire, et d'Ekron et de son territoire »;
Rois : « Il battit les Philistins jusqu'à Azzah, et ravagea leur territoire depuis les tours des gardes jusqu'aux villes fortes »;
Sophonie : « Malheur aux habitants des bords de la mer, à la nation des Crétois ! La parole de Dieu est contre vous : Canaan terre des Philistins [dont Azzah fait partie], je vais te ruiner, te vider de tous tes habitants ! ».

Alexandre le Grand entre dans Gaza en 332 av. J.-C. Il massacre la population, vend les survivants comme esclaves et pille les stocks de myrrhe et d’encens.

Floriste de Gaza

Rien n’a beaucoup changé aujourd’hui. On entend parler d’enclave, de ghetto, de prison, de couloir, d’enfer. Peu importe les termes utilisés, on ne peut être que frappé par la lenteur que de nombreuses « belles âmes » ont mise pour se rendre compte de l’horreur de cette situation depuis plusieurs décennies. L’émoi que cause cette tragédie demeure contenu. Comment expliquer cette indifférence ? Ce n’est pas par manque d’information. Les journaux nous relatent constamment la situation infernale que connaissent les Gazaouis.

Une explication possible est que la plupart des gens coexistent depuis toujours avec leurs bandes de Gaza qui varient d’une personne à l’autre. Dans les pays qui ont pratiqué le colonialisme en toute impunité, il a fallu que l’on ferme les yeux sur bien d’exactions et d’horreurs. Et aujourd’hui, cela continue avec des cités ou vivent des enfants de l’immigration coloniale. Il est à cet égard intéressant d’observer qu’en Amérique du Nord, les propalestiniens les plus radicaux font une analogie entre la création et l’extension de l’État d’Israël et les politiques colonialistes et esclavagistes menées par la plupart des pays occidentaux. On peut penser qu’aux États-Unis, les propalestiniens se réveillent de temps à autre, quand les choses vont très mal. La société duale où les noirs continuent à vivre séparément des blancs et bénéficient de revenus nettement plus faibles persiste. Il en est de même en France où les jeunes issus de l’immigration vivent dans des cités et sont maltraités par le système économique et policier. Nous sommes à peine surpris de voir une indifférence au sort de ces minorités. On peut se demander :

« Qui a commis l’injustice [à Gaza] ? L’idéologie d’Israël, quant à ce processus de paix qui va à pas de tortue, continue de dicter aux Palestiniens les conditions de leur survie, conditions qui reflètent une vision historique fondée sur le postulat que les Palestiniens ne sont que les résidus des envahisseurs arabes de la terre d’israël, aussi doivent-ils reconnaître l’illégitimité de leur histoire et de leur présence dans leur patrie » (1).

On peut espérer qu’arrive ce qu’écrit l’historien Maurice Sartre (2) du passé de Gaza :

« Aujourd’hui associée à la tragédie palestinienne, la ville est riche de plus de trois mille ans d’histoire. Florissante, Gaza était au cœur des échanges commerciaux méditerranéens, concentrait les religions, accueillait les artistes et les intellectuels ».

(1) Mahmoud Darwish, L’exil recommencé, https://www.actes-sud.fr/lexil-recommence, Voir aussi Alain Gresh (1998), Rêves et colère des Palestiniens, Le Monde Diplomatique, Décembre 1998, 14-15. https://www.actes-sud.fr/lexil-recommence.
(2) Maurice Sartre (2024), Antique Gaza, L’Histoire, 517, Mars 2024. Merci à Bernadette Bal de nous avoir ouvert une partie de l’histoire de Gaza, et de sa beauté.

1 commentaire:

  1. Je suis très heureux de vous lire. Très heureux, en particulier, d’entendre la défense des Gazaouis au nom des principes humanitaires les plus généraux, mais aussi en référence aux principes éthiques de tradition juive, qui ont joué un grand rôle dans l’édification des Droits de l’Homme. On trouve de tout dans la Torah, bien sûr. Mais on y trouve surtout la formulation la plus ancienne d’un devoir de respect et d’aide envers les étrangers.
    Je trouve insupportable la tendance si fréquente à opposer une horreur à l’autre, comme de mettre en évidence les atrocités du 7 octobre pour expliquer, sinon justifier les massacres à Gaza ; tout autant, d’oublier l’agression du Hamas. Aucune horreur n’en justifie une autre et, bien qu’il soit tentant d’en faire un argument, la quantité de morts et de victimes ne se pèse pas.
    Je voudrais adopter un moment le point de vue d’un Israélien (que je ne suis pas) :
    D’un côté, je comprends leur angoisse et la trouve justifiée. Ils sont effectivement en danger, non pas à court terme mais à terme plus lointain. Les rares occasions de paix ont été manquées et, surtout, de par la faute de certains dirigeants (Beghin) ou de par la faute des fanatiques (meurtre de Rabin). Existe-t-il encore une chance ? En tout cas, la politique actuelle du gouvernement (démocratiquement élu, hélas) ne fait qu’attiser les haines.
    De l’autre, l’évolution droitière et fanatique d’un certain judaïsme enraciné surtout en Israël, encouragé par les Evangélistes chrétiens, trahit l’essence du judaïsme talmudique et régresse à l’époque de la religion primitive des Hébreux et de leur pratique telle qu’elle se raconte, par exemple, dans le livre de Josué.
    Le lien historique entre le Sionisme et la colonisation européenne est, hélas, incontournable. On peut dire à juste titre que le mouvement sioniste avait des raisons séculaires d’exister, indépendamment du colonialisme. Pourtant, c’est ce dernier qui a permis, avant même la Shoah, les premiers succès de ce mouvement (Déclaration Balfour). L’antisémitisme européen a fait le reste. Israël, aujourd’hui, existe. Je ne peux imaginer qu’il soit effacé de la carte.
    Le peuple palestinien existe aussi, et a besoin d’un Etat. Je ne peux imaginer qu’il ne l’obtienne pas. Il l’obtiendra. La rage destructrice de Netanyahu est aussi dangereuse pour l’un des deux peuples que pour l’autre.

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