mercredi 25 mai 2016

Est-il interdit d’interdire ?


Pierre Pestieau

Drogues et pornographie, voilà un drôle de couple pour un blog. C’était, il y a quelques semaines, parcourant la presse de Washington, je suis tombé sur deux interrogations : faut-il légaliser les drogues et faut-il interdire la pornographie ? On notera en passant que si dans de nombreux pays, les premières sont interdites et la seconde ne l’est pas, dans d’autres, c’est l’inverse. Le point de départ de ces deux interrogations est, comme souvent en la matière, la publication de rapports d’experts de renommée internationale et à l’intégrité insoupçonnable sur les dangers ou le caractère (in) ou offensif de ces deux pratiques.

Interdire, décourager, tolérer, dépénaliser, légaliser avec ou sans encadrement, qu’il s’agisse de la prostitution, de l’avortement, de la consommation de tabac et d’alcool, de l’usage de drogues douces ou dures, de la pornographie, ce sont des questions qui se posent depuis la nuit des temps avec des réponses qui sont rarement satisfaisantes et qui dans la pratique varient d’un pays à l’autre. On peut aborder ces questions sous trois angles différents.


D’abord, on peut les évaluer au nom de la morale ou de la religion. On peut aussi les traiter du point de vue de leurs implications socio-économiques. Enfin il importe d’examiner la faisabilité et les conséquences d’une interdiction ou d’une autorisation encadrée. En d’autres termes ce qui importe ce ne sont pas seulement les principes mais les résultats. On peut très bien interdire le commerce et la consommation d’un service ou d’un bien et s’apercevoir qu’après coup, le volume de consommation ne diminue pas et que de surcroît sa qualité se détériore. A l’inverse légaliser une consommation tout en l’encadrant peut provoquer des marchés parallèles et criminels.
 
La pornographie, dans la mesure où elle n’est pas interdite, peut être approchée sous l’angle de ses implications socio-économiques. L’étude de Gail Dines (1) indique que le nombre de « consommateurs » est beaucoup plus important que ce que l’on croit généralement et que les dégâts qu’elle entraîne en termes de santé, de socialisation et de participation au monde du travail sont énormes. Ce qui apparaît clairement lorsque ces dégâts sont évalués en équivalent monétaire. De là à suggérer son interdiction, il y a un pas que ce sociologue américain franchit allègrement.

Personne ne trouve que les drogues dures et même douces sont totalement inoffensives. Le tabac et l’alcool ne le sont pas non plus. Mais ce n’est pas sur ce point que le débat a lieu. Il porte essentiellement sur les dommages collatéraux que leur interdiction entraîne. Parmi les dommages causés par l’interdiction des drogues, il y aurait selon les experts (2) :

·            la croissance inquiétante des homicides au Mexique qui va jusqu'à grever l’espérance de vie du pays 
·            l’incarcération excessive, facteur de contamination par le VIH et de criminalisation des détenus 
·            la discrimination raciale induite par l’application des lois antidrogues 
·            la violation constante des droits de l’homme.

Même si ces conséquences de l’interdiction des drogues concernent davantage l’Amérique du Nord que l’Europe, elles ont leurs équivalents sur le vieux continent.

Les experts appellent à décriminaliser l’usage et la possession de toutes les drogues et à basculer sur un marche régulé.

On retrouve malheureusement dans les deux cas la question de la faisabilité. Dans le cas de la pornographie, peut-on effectivement l’encadrer, voire l’interdire, sans causer des dommages encore plus importants que ceux qu’elle cause aujourd’hui ? Dans le cas de la décriminalisation, voire de la légalisation de l’usage de la drogue, il existe à ce jour, peu d’exemples qui permettent de tirer un bilan de telles réformes.

Ce qui me semble important dans tous ces cas de pénalisation ou de légalisation, c’est de regarder objectivement les conséquences des deux volets de l’alternative, et d’éviter les condamnations morales ou religieuses hâtives.

(2) Voir le dossier du Courrier International, 14-20 avril 2016. Voir aussi
https://www.washingtonpost.com/news/wonk/wp/2016/03/24/top-medical-experts-say-we-should-decriminalize-all-drugs-and-maybe-go-even-further/


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