Victor Ginsburgh
Voici quelques fatwas tirées du
merveilleux petit traité d’intolérance de Charb (1).
Mort aux verrines (pp. 11-12). Les amis qui vous ont invité à dîner vous
servent à manger dans des verres. Oui, des verres en verre. Dans le meilleur
des cas. Parfois les verres sont en plastoc transparent. [Prenez soin de
gâcher] la soirée en réclamant qu’on vous serve à boire dans une assiette. Je
crois que vous en serez d’accord, il faut vider cul sec le contenu de votre
verrine avant de la fracasser sur le crâne de vos désormais ex amis. Amen.

Mort à Marrakech (pp. 37-39). Lorsqu’une émission de débat politique [sur
la télé française] se termine, vous savez de quoi discutent hors antenne les
participants que vous avez vus se déchirer sur le plateau? De leur prochain
week-end à Marrakech. Je le sais, je les ai entendus. Je crois que vous en
serez d’accord, il faut attendre le week-end pour raser Marrakech du sol au
plafond; ça fera d’une pierre deux coups: on débarrasse l’humanité d’un aimant
à cons et on libère les médias français de ses punaises confraternelles. Amen.
Mort aux surfeurs (pp. 54-56). Un requin lui a arraché une jambe. Le
surfeur s’est vidé de son sang, s’est échoué et il est mort sur telle plage de
la Réunion ou d’ailleurs. Un drame, évidemment. Je crois que vous en serez
d’accord, il faut autoriser la chasse aux surfeurs dont les gourmettes bouchent
les intestins de nos amis les requins. Amen.
Mort aux bistrots carafobes [c’est-à-dire tous les bistrots belges] (pp.
57-59). « Et comme boisson, vous avez choisi? » demande l’onctueux
bistrotier. Oui, on a choisi: « De l’eau, une carafe d’eau s’il vous plaît ».
Les zygomatiques commerciaux qui maintiennent douloureusement le sourire du
patron se relâchent, ses babines s’affaissent, le sourire coule. Il vous
arrache les menus des mains et disparaît dans le graillon de sa cuisine. Je
crois que vous en serez d’accord, il faut obliger les restaurateurs à boire
l’eau de la piscine qu’ils se sont payée en assoiffant leurs clients et dans
laquelle ils font tremper leur gros cul pendant des heures. Amen.
Mort aux couples avec enfants (pp. 79-81). Deux. Un garçon, une fille.
Trois et cinq ans. Les grands-parents ont prétendu qu’ils ne pouvaient pas les
garder parce qu’ils allaient visiter le Mont Saint Michel. En réalité, les
grands-parents n’ont pas bougé de chez eux. Ils ont tiré les rideaux, débranché
le téléphone, fumé des pétards et tenté d’avoir une relation sexuelle. La
vérité, c’est que leurs petits-enfants, ils ne pouvaient plus les voir. Les
amis sont venus donc avec leurs enfants à ce week-end avec vous. En deux jours,
il n’aura été possible de mener à son terme aucune conversation. Tout échange
est interrompu au bout de treize secondes par une des gosses qui brandit une
feuille de papier barbouillé (c’est un dessin), vomit, veut faire pipi, chante,
saute de la deuxième marche des escaliers, cogne l’autre, s’étrangle avec une
croquette pour chien, réclame à boire, pleure, hurle, réclame à boire, renverse
le verre, met sont doigt dans la prise. Je crois que vous en serez d’accord, il
faut stériliser de force vos meilleurs amis en les plongeant six mois jusqu’à
la ceinture dans le bain-marie destiné à réchauffer les biberons. Amen.
Mort au verbe « impacter » (pp. 107-108). Et ta mère ? Elle
s’est fait impacter par les Grecs ? C’est ce que vous hurlez au chargé de
clientèle de l’agence de votre banque qui tente de vous expliquer que la perte
de confiance des marchés a eu des conséquences sur les taux d’intérêt des
emprunts immobiliers. Il n’a pas dit qu’il vous refusait votre emprunt parce
que la perte de confiance des marchés a eu des conséquences sur le taux des
emprunts immobiliers. Il a dit : les taux d’intérêt des emprunts
immobiliers ont été impactés par la perte de confiance des marchés. Vous
comprenez très bien ce que ça signifie. D’une part, vous n’obtiendrez jamais le
prêt pour acheter une niche à Gisors, d’autre part ce gluant emploie un néologisme
inutile. Et donc, ta mère, elle s’est fait impacter par les Grecs, oui ou
merde ? Ah, oui, répond le chargé de clientèle, soudain très surpris par
votre intérêt pour l’économie. « Oui, ma mère qui avait fait des
placements hasardeux a été impactée par la crise grecque. » Que
répondre ? Votre moral a été durement impacté par l’inébranlabilité de ce
con. Je crois que vous en serez d’accord, il faut détourer un météorite de sa
course vers le néant afin qu’il vienne s’écraser sur sa sale gueule, ça lui
rappellera le sens du mot « impact ». Amen.

Mort à la peur islamiste (pp. 104-106). Ils ne sont rien, mais ils font
peur. Ils sont une poignée, mais on les voit partout. L’Islam en France, c’est
lui, le barbu hirsute. Il y en a combien, des épouvantails de ce genre, à
rouler des yeux de dingues quand ils voient une caméra de télé ?
Cent ? Deux cents ? Il y a en France plus de caméras que de musulmans
extrémistes. Je crois que vous en serez d’accord, il faut claquer la gueule
suffisamment fort de tous ceux qui ont peur de l’ombre de la barbe d’un
salafiste afin de les réveiller de leur cauchemar. Amen.
[Pour raccourcir les textes originaux de Charb, j’ai parfois été obligé de
changer quelques mots. J’espère ne pas avoir changé leur sens.]
(1) Les fatwas de Charb, tome II,
Paris : Les Echappés, Charlie Hebdo, 2014.
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