jeudi 1 février 2018

La vie n’a pas de prix, mais sa fin en a un


Pierre Pestieau

Quand j’avais quinze ans, j’étais fasciné par cette citation de Saint-Exupéry: La grandeur de ma civilisation, c'est que cent mineurs s'y doivent de risquer leur vie pour le sauvetage d'un seul mineur enseveli. Ils sauvent l'Homme. Avec le temps j’ai pris quelque distance avec cette forme d’humanisme que l’on trouve notamment chez Spielberg et son « Il faut sauver le soldat Ryan ». Car après tout, c’est plutôt l’exemple inverse que notre civilisation nous offre avec ses guerres (néo-) coloniales dans lesquelles, pour sauver quelques vies et quelques intérêts commerciaux, on n’hésite pas à tuer ou blesser des milliers de personnes. Il suffit de relire « Les fantômes du roi Léopold  » pour découvrir que des milliers de vies congolaises ne faisait pas le poids face à quelques tonnes d’hévéa (1).

Dans ces réflexions et ces comportements, on se rend bien compte que toutes les vies n’ont pas la même valeur. Cela me rappelle mon étonnement lorsque j’ai découvert que les sociaux démocrates scandinaves avaient longtemps été tenté par les thèses eugénistes, dont un des corolaires était de mettre fin à la vie de personnes jugées trop handicapées et donc coûteuses pour l’Etat providence, dont ils étaient par ailleurs des défenseurs efficaces. Mettre fin à la vie ou ne pas permettre de la donner quand celle-ci aurait un prix trop élevé pour la société. Ces gentils sociaux démocrates ne faisaient qu’appliquer les principes utilitaristes de Jeremy Bentham, dont l’une des implications majeures est que le bien être social se mesure par la somme des utilités individuelles. Au nom de ce calcul social, on en déduit qu’une vie trop coûteuse peut être sacrifiée pour le bien-être d’un grand nombre.


Pourquoi revenir sur cette vieille thématique ? Il semblerait que dans notre société le nombre de suicides plus ou moins assistés augmente ce qui serait encouragé par la société surtout s’il s’agit de personnes âgées, dépendantes, fragiles ou souffrantes. Il est à noter que ceux qu’on appelle parfois les « anges de la mort » ne sont pas nécessairement motivés par un souci économique mais plutôt par le désir d’épargner aux malades des souffrances inutiles. On se rappelle l’affaire du Dr Bonnemaison qui en août 2011 a fait scandale en France. Il avait délibérément euthanasié sept de ses patients en fin de vie. Sa justification : « J’ai voulu soulager leurs souffrances ». Plus proche de nous, rappelons le procès du « diacre de la mort » qui se déroule actuellement en Flandre. Il s’agit d’un certain Ivo Poppe, poursuivi pour 10 assassinats au moins. En fait il aurait déclaré qu’il avait activement euthanasié au moins 20 personnes. « Je n’ai jamais voulu tuer, je voulais raccourcir la vie de patients en phase terminale », a-t-il indiqué.

La distinction entre suicide et euthanasie n’est pas toujours claire. La Belgique peut se targuer d’avoir une loi sur l’euthanasie que nos voisins du sud nous envient. Apparemment, le nombre de déclarations d’euthanasie est assez stable. Il y a eu, en 2016, 2.024 déclarations selon la Commission de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (2). La plupart concernent des personnes âgées. En dépit de nombreux garde-fous certains s’inquiètent dans le nord du pays de certaines dérives. Des médecins cesseraient d’y appliquer l’esprit de la loi. Il semblerait que le nombre d’euthanasies soit significativement plus élevé en Flandre que dans les autres régions, alors que la loi y est la même (3). Quant aux suicides,  il y aurait quelque 2.000 cas par an. Le taux est plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Les personnes âgées sont deux fois plus nombreuses que les jeunes à mettre fin à leur vie de manière intentionnelle. Et le taux de suicide est deux fois plus important en maison de repos qu’au domicile. Ce dernier chiffre semble sous-estimé pour les personnes âgées. Il existerait en effet des formes indirectes de suicide. Certaines personnes âgées adoptent une conduite de déni en refusant par exemple de prendre leurs médicaments. Il semblerait que très souvent le médecin traitant préfère, notamment dans un souci de protéger l’entourage, déclarer comme accident un suicide. 

Sur les questions de vie et de mort, mon maître à penser n’est plus Saint Exupéry mais Woody Allen pour qui on devrait vivre la vie à l’envers… Tu commences par mourir, ça élimine ce traumatisme qui nous suit toute la vie. Après tu te réveilles dans une maison de retraite, en allant mieux de jour en jour. Et conclut par : Les neuf derniers mois tu les passes tranquille, avec chauffage central, room service, etc. Et au final, tu quittes ce monde dans un orgasme.

(1) Adam Hochschild, Les Fantômes du Roi Léopold, Belfond, 1998.
(3) https://fr.linkedin.com/pulse/graves-dérives-dans-la-pratique-de-leuthanasie-en-belgique-martens




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