dimanche 3 juin 2018

L'image du père

Victor Ginsburgh

Simone de Beauvoir, théoricienne et chantre du féminisme dans les années 1970, se retourne dans sa tombe : Même certains oiseaux chanteurs, dont les bouvreuils, écoutent uniquement la voix de leur père. Ils forment néanmoins, par la suite chacun avec sa belle, des couples « parfaits » qui ne se sépareront jamais, ce que n’ont pas fait Simone et Jean-Sol Partre.

Les jeunes bouvreuils mâles apprennent leur chant en écoutant leur père et l’utilisent pour attirer la femelle avec laquelle ils partageront leur vie (1). Si le petit mâle n’étudie pas la voix de son père endéans les 90 premiers jours qui suivent sa naissance, il n’arrivera pas à chanter correctement, et va droit au désastre, parce qu’aucune femelle ne voudra de lui.


La petite femelle, par contre, ne chante pas mais écoute aussi et stocke dans son cerveau la voix de son père. Lorsqu’elle est courtisée, elle compare la voix du courtisan à celle qu’elle a stockée et juge si ledit courtisan vaut le coup ... Donc, même si seuls les mâles chantent, ce sont les femelles qui choisissent. Par contre, et assez curieusement, chez les couples LGBT (lesbien, gay, bisexuel et transgenre), le son de la voix est de peu d’importance et ça se complique : les oiselles ne peuvent pas s’attirer en chantant, puisqu’elles ne chantent pas, mais que font les oiseaux mâles ?

Ceci n’est ni une plaisanterie, ni de l’anthropomorphisme d’ailleurs. C’est le résultat découvert par des chercheurs dont Sarah Woolley (2), qui ont en effet montré que les cerveaux de ces oiseaux convertissent les sons émis par leurs congénères en messages sociaux et les utilisent pour s’accoupler. Mais les cerveaux diffèrent entre oiselles et oiseaux.

Les mammifères, y compris ceux qu’on appelle les grands singes, sont un peu sourdingues aux voix (mais pas nécessairement aux signaux vocaux) de leurs parents et de leurs congénères. Seuls les humains des quatre sexes seraient sensibles à la voix, selon Woolley.  

Et si l’on inverse un peu la notion d’anthropomorphisme en ornithomorphisme, et pour autant que les bouvreuils se mettent à faire de la recherche sur les humains comme les humains en font sur les bouvreuils, ils pourraient trouver que les demoiselles sont aussi sous le charme de la voix des mâles. Et conclure que ce serait, in fine, la femme qui choisit l’homme, ce qui contredit évidemment tous ce que pensent les machos.

Ouf. Simone de Beauvoir peut vraiment se remettre en place dans sa tombe.

(1) Joanna Klein, Some Songbirds Have Brains Specially Designed to Find Mates for Life, The New York Times, February 13, 2018.
(2) Sarah Woolley, Songbirds help us to understand how listening to speech when you’re young shapes the way you hear and speak for the rest of your life.
https://www.google.be/search?dcr=0&source=hp&ei=sKuSWvKZFJ3mgAac4aHoDA&q=What+Songbirds+Can+Teach+Us+About+Human+Speech+and+Language&oq=What+Songbirds+Can+Teach+Us+About+Human+Speech+and+Language&gs_l=psy-ab.3..33i160k1.1296.1296.0.2186.2.1.0.0.0.0.117.117.0j1.1.0....0...1.2.64.psy-ab..1.1.116.0...0.WtN-dllh2WU

3 commentaires:

  1. Je teste le système pour Liliane.amitiés Daniel

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  2. Quel texte rafraîchissant ,léger et sérieux. La science qui parle d'amour.Des petits oiseaux qui se moquent de Mme de Beauvoir,de son Jean-Sol,et de nos dérives.(Le deuxième sexe est dépassé.)
    Je suis sous le charme. Amitiés.Liliane

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