lundi 26 novembre 2018

La montée des inégalités et de la pauvreté. Réalité ou perception ?

Pierre Pestieau

Les journaux ont de plus en plus tendance à publier des unes aux des titres accrocheurs portant sur la montée de inégalités et sur l’augmentation de la pauvreté en Belgique.

Il serait intéressant de voir ce qu’il en est dans le temps et dans l’espace, tous en gardant à l’esprit la difficulté de mesurer correctement ces deux phénomènes. D’abord, le revenu financier n’est pas le seul facteur en jeu. La santé, le lien social, la localisation sont aussi très importants. Ensuite, les mesures choisies peuvent donner lieu a des constats différents, voire opposés. Parle-t-on de pauvreté relative ou absolue ? Quel seuil de pauvreté faut-il choisir, L’inégalité est-elle mesurée par le coefficient de Gini ou par l’écart interquartile, sont autant de questions à clarifier avant d’établir le moindre diagnostic.


Evalué au seuil de 50%  du revenu médian en 2014, le taux de pauvreté dans les pays européens varie de 5,9 % aux Pays-Bas à 15,9% en Espagne. Aux Etats-Unis, il s’élève à 17,5%. En Belgique à 8,6% et en France à 6,7%. Quant à l’évolution de la pauvreté, le taux de pauvreté est resté relativement bas pour les Pays-Bas et relativement haut pour l’Espagne au cours de la période. Certains pays, dont la Belgique et l’Allemagne, ont subi une hausse de la pauvreté au début des années 2000. Par contre, le Royaume-Uni voit celle-ci baisser au cours de la même période (1).

Comment réconcilier ces évolutions avec la perception que d’aucuns ont, qu’au contraire, la pauvreté n’a cessé de croitre ? Plusieurs explications sont possibles :

·      - les données disponibles ne couvrent pas les dernières années qui auraient vu la montée de la précarité;
·      - le revenu monétaire ne couvre qu’un aspect de la qualité de vie : la santé, l’insertion sociale, la propriété du logement, la localisation jouent aussi un rôle important ;
·      - les prix des produits consommés par ceux qui ont des revenus faibles (chauffage, nourriture, logement), ont augmenté plus rapidement que l’inflation.

L'étude des inégalités compare les distributions complètes de revenus et synthétise les résultats par l'élaboration et la publication d'indices. L’indice le plus utilisé est le coefficient de Gini. Comme pour la pauvreté, ce ne sont pas les revenus bruts qui sont comparés, mais les revenus disponibles y compris les transferts sociaux et dûment ajustés pour tenir compte de la taille et des besoins des ménages. Le coefficient de Gini permet de mesurer la dispersion des revenus, c’est-à-dire l’écart qu’il peut exister entre les valeurs de revenus extrêmes. C’est un nombre variant de 0 à 1, où 0 signifie l'égalité parfaite (chacun reçoit le même revenu) et 1 signifie une inégalité parfaite (la totalité des revenus disponibles vont à une seule personne).

En 2014 et en Europe, le coefficient de Gini varie de 0,25 en Suède à 0,35 en Espagne. Par comparaison, les Etats-Unis ont un coefficient de 0,40. Certains pays ont vu leur inégalité fortement augmenter, c’est le cas de l’Allemagne et de la France. D’autres pays, comme les Pays-Bas ou la Belgique ont vu l’inégalité des revenus baisser.

Le coefficient de Gini est une mesure standard d’inégalité. Il tend cependant à sous-estimer le taux de concentrations des revenus les plus élevés. Plusieurs études récentes ont mis l’accent sur les plus riches, particulièrement le centile le plus élevé (le 1% touchant le plus de revenus), dont les revenus ont augmenté beaucoup plus que dans le reste de la population. Il apparaît ainsi que les dividendes de la croissance de ces dernières décennies auraient été accaparés par cette catégorie. Ce constat s’applique surtout aux pays anglo-saxons, et beaucoup moins à la Belgique et aux Pays-Bas (2).
La richesse détenue par les Belges les plus riches représente 12% de l’ensemble de la richesse contre 34% aux Etats-Unis. Ces indicateurs ont été corriges pour tenir compte des riches « manquants », c’est à dire les très riches qui n’apparaissent pas dans les enquêtes de patrimoine et qui sont repris dans le classement de Forbes (3). Ils passent alors à 17 et 37% respectivement.

Quant à la concentration des revenus, elle est aussi plus faible en Belgique et aux Pays-Bas, que l’on prenne les 10 ou les 1% des citoyens qui ont les revenus les plus élevés. Elle tend cependant à augmenter ces dernières années.

Dans un article récent intitulé « Vous avez dit inégalités… mais lesquelles, au juste? » et publié dans Le Monde du 11 novembre, François Bourguignon aboutit à la même conclusion. Il oppose la réalité des chiffres au résultat d’un sondage indiquant que pour la majorité des Français les inégalités ne cessaient de croître. Il explique  que « l'opinion publique (aur)ait une conception de l'inégalité qui diffère des indicateurs les plus courants » et cite notamment les inégalités dans le domaine de l’éducation et de l’emploi ainsi qu’une faible mobilité sociale.


(1) Mathieu Lefebvre et Pierre Pestieau (2017), L’Etat Providence, Paris : Presses Universitaires de France.
(2) André Decoster, Koen Dedobbeleer, Sebastiaan Maes (2017), Using Fiscal Data To Estimate The Evolution of Top Income Shares in Belgium from 1990 to 2013, Department of Economics KULeuven

(3) Philip Vermeulen (2014), How fat is the top tail of the wealth distribution? ECB Working Paper Series, no. 1692

1 commentaire:

  1. Cher Pierre,


    Tu mentionnes qu'en 2014, "des pays comme la Belgique ou les Pays-Bas, ont vu l'inégalité des revenus baisser". En fonction des circonstances actuelles, cela vaudrait la peine d'actualiser et approfondir le sujet. On souhaite toujours disposer de plus d'argent et comme cela n'est souvent pas possible de manière significative, on en veut à la société. il serait utile de disposer d'éléments objectifs pour aborder plus sereinement la situation. Tu es l'homme capable de le faire.
    Qu'en penses-tu ?
    Amitiés

    Léon R.

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