mardi 20 novembre 2018

Nos belles années


Pierre Pestieau

Impérialisme et développement inégal
C’étaient les belles années, celles de nos 20 ans, bien moins troublées que celles que connut Nizan (1). Ces années où l’on dévorait tous les livres qui dénonçaient le capitalisme et le néocolonialisme. Les auteurs de référence étaient Rodinson, Dumont, Mandel, Sweezy, Althusser, Furtado et bien d’autres. Pourquoi évoquer ces années là ? Parce qu’un de ces auteurs vient de mourir dans un quasi anonymat. Il s’agit de l'économiste franco-égyptien Samir Amin, reconnu mondialement comme une figure de proue de l'altermondialisme. Il vivait à Dakar depuis de nombreuses années.

A l’occasion de ce décès, je me suis demandé ce qu’il me restait de mes lectures de ses ouvrages publiés il y a près de 50 ans, notamment L’accumulation à l’échelle mondiale (1970) et Le développement inégal (1973). Peu et beaucoup. Il a remarquablement décrit le phénomène de l’impérialisme économique qui exploitait les pays pauvres, et particulièrement l’Afrique, et rendait leur développement impossible. Sur ce point une bonne partie de son diagnostic demeure pertinent.


Là où j’ai trouvé Amin moins intéressant, c’est dans son explication de certains facteurs de sous-développement : la démographie incontrôlée, les guerres civiles, la corruption des dirigeants et l’absence de démocratie. Certes les puissances coloniales ont une certaine responsabilité dans ces problèmes mais avec le temps cette responsabilité s’estompe. Je le trouve faible non seulement dans les explications qu’il apporte, mais aussi et surtout dans les remèdes qu’il propose.

On peut être d’accord avec lui pour dénoncer les dommages que le commerce mondial inflige à l’Afrique et remettre en question la doxa libérale, la question léniniste demeure celle du « que faire ? » Le peu de pouvoir que les peuples peuvent exercer se situe au niveau des frontières nationales et à ce niveau un rejet radical du capitalisme semble pour l’instant utopique pour plusieurs raisons. D’abord, il faudrait avoir une adhésion populaire. Ensuite, il y aurait l’obstacle du blocus plus ou moins déguisé que mèneraient les grandes puissances industrielles. Enfin, il y a la question du programme économique et social qu’il faudrait mettre en œuvre, lequel réclamerait de l’intégrité, de la compétence et de l’imagination. Autant d’obstacles qui nous laissent désemparés et pessimistes.



(1) Paul Nizan (1905-1940) est l’auteur de la phrase illustre  « J'avais vingt ans et je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie » dans Aden Arabie (1931).




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