Victor Ginsburgh
Les carnets d’adresses sont comme les arbres en automne, lorsque les feuilles tombent et finissent par disparaître. J’ai consulté le mien et ai constaté que beaucoup d’adresses avaient mis les voiles durant ces vingt ou trente dernières années. Peut-être pas tout à fait envolées, mais (mal) gommées ou tout simplement barrées.
Les plus tristes sont celles de la famille, disparus ou disparues avant moi. Les autres sont des amis ou des connaissances qui m’ont oublié et que j’ai oubliés.
Il y a des Pollak, très proches de moi par ma grand-mère, ou des Pédiatres alors que mes enfants sont, aujourd’hui, presqu’aussi âgés que moi, des Plombiers, des Poissonniers dont on ne veut plus entendre parler, parce que le poisson pas très frais n’est pas très bon.
Les adresses commençant par Q sont vides. Il faudra que j’en trouve une. Quand j’arrive au R, ce sont des Restaurants qui ont naguère été bons, et les Rabbins que je ne rencontre pas. Des S qui ont, parmi les consonnes, la plus belle allure, des Serruriers qui m’ont délivré des voleurs, des Taxis et des Traiteurs, qui paraissent dans l’ordre alphabétique, de vieux amis dont le nom commence par U dont les cendres sont déposées dans des Urnes, des Urgences de la police, dont les numéros ont changé plusieurs fois au cours des années, mais on les a gardés par prudence, des Vins de Delhaize, et certain grands Vins achetés en France, des Vétérinaires à l’époque où l’on avait des chats, des chiens, des oiseaux, alors que j’étais amoureux des perroquets, un V qui me rappelle mon prénom quand je perds la mémoire et que je veux me téléphoner, des van avec un V minuscule, des Weil, des Wassermann, de certains de mes professeurs à l’université, et de très rares Xenia, Yaffa, et Zaïda que j’aurais peut-être pu aimer si je les avais rencontrées.
Arinna, Déesse hittite |
Puis on revient aux A, parce que Z est tout à fait à l’autre bout. Une Arinna, déesse-soleil chez les Hittites et qui, aujourd’hui, vit dans le midi de la France, un Avocat, des Assurances peu sérieuses, des Beaux comme Beauthier ou Bobo, des noms dont on n’a pas envie, comme Bordet pour les cancers, des Cavell, des Coiffeurs qui se sont évaporés, comme l’on fait mes cheveux. Heureusement, il reste encore beaucoup de D pour une raison que je ne comprends pas, mais pas de « de » avec un D minuscule, des E comme la première lettre du prénom de ma fille et de A. Einstein, des F comme Franco, des G comme moi (avec mon propre numéro de téléphone, bien entendu), des H, aïe de nouveau des Hôpitaux, d’infâmes Hospices, mais aussi des Hospices de Beaune qui devraient sans doute figurer à la lettre V pour Vins, très peu de I, si ce n’est un très vieil ami mal mort au Brésil, des J comme Jean-Pierre qui a été mon premier ami quand nous avions six ans, et des K qui sont sur la même page que les J parce que les fabricants des carnets d’adresses veulent faire des économies de papier. Un L comme Latz, connu quand j’étais encore en Afrique, devenu vigneron dans le Midi de la France, des M pour Mutuelle, et K. Marx, suivis par N pour les Notaires, qui Notent ou Dénotent mais qui sont chers lorsqu’on leur demande d’établir un document dit acte de N., très peu de O heureusement, un Ostéopathe perdu tout seul sur une page, des P comme Popsy, une vieille amie qui était dans ma classe de gréco-latine quand j’étais à l’école secondaire, ou peut-être était-elle en latin-maths, j’ai oublié, et Puissant, un autre de ma classe de gréco-latine aussi, qui a dû vieillir au même rythme que moi. Sans compter mon co-blogueur Pierre.
J’arrête parce que je suis de retour à la case P, où tout a commencé.
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RépondreSupprimerBelle idée de parcourir ainsi un carnet d'adresses, avec des surprises, bonnes et moins bonnes, des regrets aussi, parfois.
RépondreSupprimerVictor, je te félicite pour ce blog génial, plein de nostalgie sur les choses de la vie, et digne des meilleurs écrivains de la langue française ! Chapeau!
RépondreSupprimerun peu vexée que le "M" n'ait pas suggéré plus.... Bisekes à toi V.
RépondreSupprimerHeureux de lire ce blog jouissif Victor... et tu t'es soyvenu de D !!
RépondreSupprimerDaniel Demortier