jeudi 9 mars 2023

Le Japon et ses vieux

 Pierre Pestieau

Quand il s’agit du grand âge, le Japon est un pays de records : une fécondité extrêmement basse et une longévité des plus élevées. De ce fait, la population japonaise, qui est de 128 millions aujourd’hui devrait fondre à 87 millions en 2060 et à 51 en 2100. En 2100, la proportion des plus de 65 ans dans la population sera près de 40%. En outre, on y observe une dette publique abyssale et un âge effectif de départ à la retraite proche de 70 ans. En dépit de cet âge avancé, le pays connait de grosses difficultés à financer son système de retraite fondé sur la répartition. Les jeunes générations ont l’impression d’être les victimes d’un véritable holdup. Si elles pouvaient s’exprimer, les générations à venir vitupèreraient encore davantage. Cela suscite des réactions parfois surprenantes. C’est ainsi qu’un jeune économiste, professeur d’économie à l’université de Yale, Yusuke Narita, s'est attaqué à la question de savoir comment faire face aux fardeaux du vieillissement rapide de la société japonaise. Lors d'apparitions publiques récentes (1), il a déclaré: "J'ai l'impression que la seule solution est assez claireEn fin de compte, n'est-ce pas le suicide de masse et le 'seppuku' (2) de masse des personnes âgées ?". 

En réaction à ce mouvement d’opinion qui heureusement reste minoritaire, la cinéaste japonaise Chie Hayakawa a récemment tourné "Plan 75", un film dystopique qui représentait  de joyeux vendeurs courtisant les retraités pour qu'ils se soumettent à une euthanasie financée par le gouvernement. Elle espérait ainsi montrer jusqu’où pouvait aller cette gérontophobie. A cet égard, il convient de distinguer le problème du financement des retraites qui peut être résolu sans passer par de telles extrémités et le problème des sociétés primitives où les ressources étaient limitées et où une vie trop longue empêchait toute nouvelle naissance. Ces situations qui appartiennent à un passé lointain se retrouvent dans le folklore japonais selon lequel les familles transportent leurs parents âgés au sommet des montagnes ou dans des coins reculés des forêts et les laissent mourir. C’est ce folklore qui a donné lieu au film  ‘La ballade de Narayama’  de 1958 et se son remake éponyme de 1983 (3). Ce dernier comme d’ailleurs ‘Plan 75‘ furent primés à Cannes.

Ce n’est pas parce que l’on rejette une solution extrême comme l’euthanasie de masse, qu’il ne faut pas agir. L’effet du vieillissement continuera d’impacter les finances publiques japonaises et le pays ne pourra pas faire l’économie d’une réforme radicale de son système de protection sociale. 


Le Japon semble avoir fermé la porte à deux solutions traditionnelles : la hausse  de la fécondité et l’immigration. Par ailleurs, il est difficile d’agir sur l’âge de la retraite qui est déjà très élevé. Restent les deux paramètres que sont le niveau des cotisations et celui des prestations. Une hausse des premières et une réduction des secondes sont inévitables. 
A choisir, je serais plutôt en faveur d’une réduction des prestations. Il faut en effet garder à l’esprit ceux qui ne peuvent bénéficier de leur retraite parce qu’ils meurent prématurément et cotisent en vain.



(2). Le seppuku est un acte d'éviscération rituelle qui était un code chez les samouraïs déshonorés au 19e siècle.

(3).Voir Blog du 27 janvier 2022. Narayama, un vaisseau spatial.

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