Victor Ginsburgh
Le grand secret, c’est quand on n’a plus rien à
cacher, et que personne alors ne peut vous saisir (Yannick Haenel, Les renards
pâles).
A l’âge de 12 ou 13 ans, j’ai été traité de « sale Juif » par un
surveillant bienveillant (aucun sous-entendu-bien-entendu au roman de Jonathan
Littell) alors que j’étais interne dans un Athénée Royal en Afrique. Je ne
savais pas trop ce que cela voulait dire et ne m’en suis pas trop fait.

Il se fait que, 30 ans plus tard, deux vieux amis me disent, l’un gentiment
que je suis « antisémite », l’autre de façon plus virulente que lui ne
l’est pas, suggérant que ce n’est pas tout à fait mon cas.
Il y a évidemment plusieurs manières de réagir à cette insulte habilement
sous-entendue :
Solution 1 : Jeter mon mouchoir en
papier brodé par terre, ce qui signifie que je propose un duel à cet ami, que
je lui laisse le choix des armes. Vu qu’il est plus vieux que moi et marche
avec difficulté, j’ai des chances de m’en tirer avec une égratignure, encore
que, et j’y pense tout à coup, il pourrait venir au rendez-vous avec une bombe
atomique de poche produite en Iran. Non décidément, jeter mon mouchoir est un
peu dangereux quand même. Surtout pour les broderies du mouchoir qui pourraient
s’abîmer en tombant.
Solution 2 : Considérer qu’un
antisémite n’est pas anti-juif, mais anti-arabe, anti-musulman (mais, première
difficulté, il y a des musulmans non arabes), anti-berbère (souvent des musulmans,
mais probablement pas sémites, deuxième difficulté), anti-iranien (des musulmans
chiites, d’origine indo-européenne, troisième difficulté), anti-touareg (là je
suis perdu et donne ma langue au shah).
Enfin, complication extrême : d’après le linguiste israélien Paul Wexler
(1), les Juifs sépharades seraient les descendants en premier lieu des Arabes,
ce qui devient alors franchement très ennuyeux, sauf que comme les Arabes sont
aussi des sémites, ça se simplifie.
Et puis, il y a aussi les bédouins, qui sont presque tous musulmans, avec des
exceptions brillantes, telles que le lieutenant Amos Yarkoni (1920-1991),
officier de l’armée israélienne, qui a reçu la plus haute décoration militaire
(Medal of Distinguished Service), mais les difficultés posées par son
enterrement dans un cimetière militaire juif en 1991 ont été énormes, parce qu’il
n’est pas permis d’enterrer des non Juifs dans un cimetière juif, même s’ils
sont philosémites (2).
Décidément n’est pas juif, musulman ou arabe qui veut.
Solution 3 : Me faire à l’idée que
je suis un Juif anti-juif, c’est-à-dire un Juif qui ne s’aime pas lui-même — ce
qui se traduit et se décline d’ailleurs dans toutes les langues, en tout cas
dans celles que je connais un peu : en anglais, self-hating Jew ; en
allemand, Selbsthassender Jude ; en swahili,
sijui, qui se traduit par je ne sais pas, sauf si le mot se
terminait par un f.
Il existait, il y a peu, un site internet dénommé la SHIT list (Self Hating
and/or Israeli Threatening list), dont faisaient partie quelques grands noms
tels que Noam Chomski, professeur au MIT, des journalistes israéliens comme Uri
Avnery ou Amira Hass, Woody Allen, Simone Susskind, un bon nombre de 7.000
autres, et moi, et moi, et moi (3).
J’en déduis que je suis Juif au sens donné à ce mot par Jean-Sol Partre
dans ses Réflexions sur la question juive :
est Juif celui qui est considéré comme Juif par les autres. Donc, en toute
logique, si je figure dans la SHIT list, et que je suis (au sens de suivre pas d’être, restons modeste) le grand philosophe Jean-Sol Partre, c’est
que je suis (au sens d’être) Juif.
Solution 4 : J’espère que vous me suivez toujours. Même si je prétends que
je suis anti antisémite, donc anti antiarabe, et aussi anti antijuif et même anti antisioniste, je reste quand même pas sioniste du tout. La question est alors :
comment puis-je en même temps être antisémite ?
Une seule conclusion logique est dès lors possible. L’ami de type virulent
qui m’a suggéré que j’étais peut-être antisémite n’est manifestement pas un lecteur assidu
de la Logique d’Aristote — qui lui, m’aurait
sans doute traité de métèque —, ni du Tractatus Logico-Philosophicus de Karl Wittgenstein, descendant d’un famille
autrichienne de Demijuifs (Halbjuden) un peu honteux, puisqu’ils se sont
convertis au catholicisme.
(1) Paul Wexler, The Non-Jewish Origins
of the Sephardic Jews, New-York : SUNY Press, 1996.
(3) Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Masada2000. Le site proprement dit
a disparu de la toile parce qu’y être inclus était devenu un honneur pour un
Juif de gôche. Voici ce que dit le site Wikipedia sur la question :
« Being included on the ‘S.H.I.T.
LIST’ has become something of a badge of honor among some Jewish leftists. As
one woman explained, ‘I felt that I am in good company when I saw who else was
on the list.’ According to one writer, ‘activists compare their status, those
who are left out wondering whether they should submit themselves’».
Excellent texte qui reprend un peu de nos échanges et d'autres que j'ai eu avec un ami qui suit ton blog et me l'a recommandé, je n'avais pas encore trouvé le temps de le lire (JM Tixier (pas Vignancourt!) prof. d'histoire, anar. et pied-noir, très attaché à notre pays d'origine).
RépondreSupprimerPour compléter ton énumération, les Tourageg parlent un dialecte Amazigh (Berbère) assez différent de ceux du Nord, mais compréhensible pour qui est un peu cultivé.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerRassure-toi, il n'y a aucune contradiction à être antisémite et antisioniste. L'extrême majorité des antisionistes est d'ailleurs antisémite. Pas besoin de faire de l’étymologie pour s'en rendre compte.
RépondreSupprimerPour rappel, et au-delà des fantasmes, le sionisme est simplement le patriotisme appliqué au peuple juif, rien de plus.
I find the author's exploration of identity and labels to be thought-provoking.
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