jeudi 12 décembre 2024

208 millions d’Américains sont obèses ou en surpoids

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 The Conversation, décembre 2024 

 

Aux États-Unis, l’épidémie de surpoids et d’obésité est en forte progression. Les enfants et les adolescents sont particulièrement touchés. Si rien n’est fait, plus de 80 % des adultes et près de 60 % des adolescents américains seront concernés en 2050.

 

En 2021, aux États-Unis, près de la moitié des adolescents et les trois quarts des adultes étaient, d’un point de vue clinique, en surpoids ou obèses, ce qui représente 208 millions de personnes. Si aucune mesure n’est prise, la tendance ne peut que s’aggraver.

Ces chiffres, publiés dans la revue médicale The Lancet, sont issus d’une étude menée par plus de 300 experts et chercheurs spécialisés dans l’obésité.

 

Une situation qui se dégrade

L’objectif des travaux était de rendre compte de l’évolution de l’obésité et du surpoids aux États-Unis entre 1990 et 2021, et d’élaborer des projections pour en estimer la progression jusqu’en 2050.


Pour les mener à bien, les autorités ont synthétisé et analysé les données d’indice de masse corporelle provenant de 132 sources différentes. Des recherches antérieures ont notamment démontré que l’obésité était responsable de 335 000 décès en 2021. L’obésité augmente en particulier les risque de diabète, de crise cardiaque, d’accident vasculaire cérébral, de troubles psychiques, et de bien d’autres problèmes. 

Les implications économiques de l’obésité sont également conséquentes. Un rapportpublié en 2024 par les membres républicains du Joint Economic Committee du Congrès des États-Unis, a estimé que les soins atteindront 9,1 milliers de milliards de dollars au cours de la prochaine décennie.

La progression de l’obésité chez les enfants et les adolescents est particulièrement préoccupante. Le taux d’obésité a plus que doublé parmi les adolescents de 15 à 24 ans depuis 1990. Les données d’une enquête nationale sur la santé et la nutrition révèlent qu’aux États-Unis, près de 20 % des enfants et adolescents âgés de 2 à 19 ans sont déjà obèses aujourd’hui.  

D’ici 2050, les résultats des prévisions suggèrent qu’un enfant sur cinq et un adolescent sur trois seront obèses. Or, on sait que dans ces deux catégories, l’obésité s’accompagne non seulement d’un développement précoce de maladies chroniques, mais aussi de troubles de santé mentale, ainsi que d’une dégradation des interactions sociales, et d’une dégradation des capacités physiques.

Ces recherches ont également mises en évidence d’importantes disparités géographiques dans la prévalence du surpoids d’un État à l’autre : les États du sud, par exemple, affichent les taux les plus élevés.

D’autres recherches menées sur l’obésité ont également souligné de grandes différences d’ordre socio-économique et ethnique. Ainsi les populations noires et hispaniques présentent des taux d’obésité plus élevés que les populations blanches.   

Quelles solutions ?

Parmi les interventions qui ont fait preuve de leur efficacité contre l’obésité, on peut notamment citer la taxation des boissons sucrées.

L’arrivée de nouveaux médicaments pourrait changer significativement la gestion de l’obésité. Mais il ne suffit pas de les mettre au point et de s’assurer que leurs effets seront d’une ampleur suffisante pour modifier les tendances des décennies à venir. 

 

jeudi 5 décembre 2024

Alzheimer heureux. Plus qu’un oxymore

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Pierre Pestieau

 

De temps à autre, au cinéma (1) autant que dans la réalité on est le témoin de personnes souffrant d’Alzheimer tout en restant, en tout cas paraissant, heureuses. Il existe de nombreuses études montrant que le fait d’avoir une vie épanouie réduisait le risque d’être affecté par cette forme de démence. Il en existe beaucoup moins visant à établir un lien entre Alzheimer et bonheur (2). On devine pourquoi.

 

Il semblerait qu’il soit possible de vivre avec la maladie d'Alzheimer et de connaître des moments de bonheur. Bien que cette maladie neurodégénérative entraîne une perte de mémoire et des altérations des fonctions cognitives, les personnes atteintes peuvent encore éprouver des émotions positives, ressentir de la joie, et vivre des moments heureuxLe lien émotionnel reste souvent intact. Même si la mémoire épisodique est affectée, la capacité à ressentir des émotions est souvent préservée. Les personnes atteintes d'Alzheimer peuvent éprouver de la satisfaction en présence de leurs proches, dans des environnements familiers, ou à travers des gestes de tendresse et de bienveillance.


 

Les personnes atteintes d’Alzheimer vivent souvent dans l’instant présent. Elles peuvent donc apprécier des activités simples, comme écouter de la musique, marcher dans un jardin ou interagir avec des animaux de compagnie, sans se soucier des aspects de la vie qui peuvent causer de l'anxiété. Un environnement sûr, apaisant et chaleureux, combiné à des soins adaptés, contribue considérablement à leur confort et à leur bonheur. Des professionnels formés ou des proches attentionnés peuvent aider à minimiser les sources de stress et à offrir des activités qui apportent du plaisir.

Des expériences sensorielles, telles qu’écouter des musiques familières, sentir des fleurs, ou toucher des textures agréables, peuvent susciter des émotions positives et favoriser des moments de bien-être, même si la mémoire consciente n'est pas active. À mesure que la maladie progresse, certaines pressions sociales ou responsabilités de la vie quotidienne sont souvent atténuées. Les personnes peuvent ne plus avoir conscience de certains problèmes qui préoccupent habituellement.



Parmi les quelques études sur le sujet, on citera celle de Person et Hansen (3) qui partent de l’hypothèse que les personnes atteintes de démence avancée peuvent encore profiter de la vie. Leur étude a adopté une approche indirecte : en raison du déclin de leur accès à la langue, il a été nécessaire de faire parler d'autres personnes en leur nom. L'analyse des résultats s'est appuyée sur une approche herméneutique inspirée de Ricœur (4). Les principales conclusions sont que toutes les personnes interrogées ont mis l'accent sur l'humour et l'interaction avec d'autres personnes comme source de bonheur. Il en ressort qu'il devrait être possible de créer des opportunités de bonheur et de plaisir dans les unités de soins spécialisées pour les résidents atteints de démence avancée grâce à des moments de convivialité et de partage d’humour et de joie. Le bonheur de ceux dont ils s’occupent doit être un objectif essentiel des soins infirmiers et, par conséquent, un défi majeur pour les infirmiers et autres soignants. 

Ces auteures ne sont assurément pas des économistes, car ma première réaction — dont j'ai honte — a été : Combien cela va-t-il coûter, surtout si l’on peine à trouver le personnel qualifié ? L’allongement de la durée de vie conduit à une augmentation du nombre de personnes nécessitant ce type de soins, tandis que le nombre de personnes actives capables de les fournir ou de les financer diminue suite à la baisse de la fécondité. Une perspective qui, malheureusement, invite au pessimisme.

Les prévisions de croissance pour la maladie d’Alzheimer sont en effet alarmantes, en raison du vieillissement démographique mondial. D'ici à 2050, le nombre de cas de démence, dont Alzheimer représente la majorité, pourrait tripler. En France, par exemple, les cas d’Alzheimer, qui concernent actuellement environ 1,2 million de personnes, pourraient dépasser 2 millions en 2050.

 



(1). Par exemple Le Fils de la mariée (El hijo de la novia) film argentin sorti en 2001 ou Floride, film français sorti en 2015. 

(2). Voir Lybb Shell (2015), The picture of happiness in Alzheimer's disease: Living a life congruent with personal values, Geriatric Nursing, 36, S26-S32.

(3). Person, M. et I, Hanssen, (2015), Joy, happiness, and humor in dementia care: a qualitative study,  Creat Nurs, 21(1):47-52.

(4). L’approche herméneutique  consiste en la recherche de la compréhension des phénomènes dans leur singularité.. Elle est l'art de retranscrire un discours afin d'en extraire les besoins des individus, une sorte de traduction des discours.

jeudi 28 novembre 2024

Comedian

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(*) Oscar Holland, CNN, 21 novembre 2024 


L’artiste italien Maurizio Cattelan (né en 1960), est l’auteur, entr’autre, d’une œuvre d'art conceptuelle composée d'une banane collée au mur avec du ruban adhésif. L’oeuvre dénommée Comedian vient d’être vendue le 20 novembre 2024 pour un montant de $6,24 millions lors d'une vente aux enchères de Sotheby's à New York.

Comedian

La maison de vente aux enchères avait estimé l’oeuvre entre $1 et $1,5 millions. Les enchères ont commencé à $800 000.

Au cours de la vente, le commissaire-priseur Oliver Barker a décrit l'œuvre comme emblématique et perturbatrice, tout en plaisantant sur le fait que vendre une banane aux enchères était « des mots que je n'aurais jamais pensé dire ».

Peu de temps après la vente, Sotheby's a révélé que Justin Sun, un collectionneur chinois et fondateur d'une plateforme de crypto-monnaie, avait acquis l'œuvre.

« Ce n'est pas seulement une œuvre d'art », a déclaré Sun dans le communiqué de presse. « Il représente un phénomène culturel qui fait le lien entre les mondes de l'art, des mèmes et de la communauté des crypto-monnaies. Je crois que cette œuvre inspirera plus de réflexion et de discussion à l'avenir et fera partie de l'histoire ».

En tant qu’adjudicataire gagnant, l’acheteur-collectionneur recevra un rouleau de ruban adhésif et une banane, ainsi qu'un certificat d'authenticité et des instructions officielles pour l’installation de l'œuvre. 

Le monde de l'art était divisé sur les mérites de l'œuvre, bien que certains critiques l'aient considérée comme enracinée dans la tradition des oeuvres conceptuelles – remontant au célèbre Urinoir monté de Marcel Duchamp – qui remettent en question la valeur de l'art lui-même. Les foules se sont rapidement formées, les participants à la « foire de l'histoire », faisant la queue pour voir l'installation virale.







jeudi 21 novembre 2024

La triple peine

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Pierre Pestieau

Outre le fait de manquer de tout, les pauvres perdent leur autonomie et meurent bien avant les plus nantis. Cette triple peine met en évidence un aspect troublant des inégalités : leur impact sur la santé et l’espérance de vie. La pauvreté n’est pas seulement un désavantage économique ; elle a des effets profonds sur l’ensemble du parcours de vie d’une personne, y compris sur sa santé et sa longévité. Les personnes pauvres, limitées par des ressources restreintes, ont souvent un accès réduit à une alimentation nutritive, aux soins de santé, à des environnements de vie sûrs et à une éducation de qualité. Cette privation systémique entraîne des résultats de santé moins favorables, davantage de maladies chroniques et des taux de handicap plus élevés, ce qui mène, en fin de compte, à une espérance de vie plus courte.

L’expression inégalité face à la mort est particulièrement poignante, car elle saisit comment l’inégalité ne se limite pas seulement aux conditions de vie mais s’étend jusqu’à la fin de la vie. Des études montrent de manière constante que les déterminants sociaux comme le revenu, l’éducation et les conditions de travail sont aussi cruciaux pour la santé que les facteurs génétiques ou liés au mode de vie, voire davantage. Les populations pauvres, surtout dans les pays à revenu élevé, vivent en moyenne plusieurs années de moins que leurs homologues plus aisés, et ces années sont souvent marquées par des problèmes de santé importants ou un handicap.

Cette inégalité face à la mort souligne l’importance de politiques sociales globales visant à réduire les inégalités de revenus, à améliorer l’accès aux soins de santé et à traiter les déterminants sociaux plus larges de la santé. Cela traduit le besoin d’un engagement sociétal pour créer des conditions permettant à tous de vivre non seulement plus longtemps, mais en meilleure santé et de manière plus épanouissante.

Le niveau de diplôme illustre bien cette inégalité devant la mort comme l’illustre une étude récente portant sur la France (1). Plus on est diplômé, plus on vit longtemps. Chez les hommes, l’écart est colossal : un diplômé de l’enseignement supérieur vivra en moyenne 8 ans de plus qu’un homme sans diplôme. Chez les femmes, l’écart est de 5,4 ans. Les mêmes écarts se retrouvent si l’on compare les durées de vie en bonne santé. Le diplôme apparaît ainsi comme un véritable bouclier contre la précarité et les risques sanitaires. Malgré des progrès, l’espérance de vie en France reste profondément marquée par les inégalités sociales. Les ouvriers et les non-diplômés continuent de vivre moins longtemps et en moins bonne santé que leurs homologues cadres et diplômés. Une fracture sociale qui persiste génération après génération.

 

Un des effets de cette inégalité face à la mort est qu’elle donne lieu à des études statistiques  biaisées sur la pauvreté des personnes âgées. En effet dans la mesure où les pauvres ont une espérance vie plus faible que les autres, ils sont sous-représentés quand on calcule le taux de pauvreté chez les personnes âgées. En d’autres termes, si les pauvres avaient la bonne idée de vivre aussi longtemps que les nantis, ce taux serait plus élevé. 

 

En France, 1,2 million de personnes âgées de 60 ans et plus vivent sous le seuil de pauvreté, soit 8,9% de cette tranche d'âge. Ce taux serait sensiblement plus élevé si la longévité des pauvres venait à égaler celles des classes plus aisées.




(1). Blanpain N., « L’espérance de vie par catégorie sociale et par diplôme jusqu’en 2020-2022 – méthode », Documents de travail no 2024-17, Insee, juillet 2024.

jeudi 14 novembre 2024

Le Rubik’s Cube a 50 ans, et je n’ai jamais réussi à arriver à le « remettre en place » mais ne suis probablement pas le seul...

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Victor Ginsburgh (*)


Les mathématiciens comme les amateurs se sont amusés pendant un demi-siècle à explorer les 43 milliards de milliards de permutations (plus précisément 43 252 003 274 489 856 000 et sans doute du même ordre de grandeur que tous les grains de sable dans le monde) du fameux Rubik’s Cube, inventé en 1974 par un certain Erno Rubik, qui a donné son propre nom au cube. Il suffit de voir ce qu’est ce cube auquel beaucoup d’entre nous sommes probablement tous heurtés (un sur sept, dit-on) et n’avons que difficilement, voire jamais réussi à mettre les petits cubes de six couleurs (noir, blanc, vert, jaune rouge et bleu) de façon à obtenir une seule couleur sur chaque face du « grand » cube, comme celui qui n’apparaît pas dans l’image ci-dessous.

Le Rubik's cube

Une compétition du championnat du monde de la World Cube Association a eu lieu à Melbourne, Australie, en 2019. Pendant qu’un « connoisseur » parlait, plusieurs membres du public se sont précipités sur scène à son invitation et se sont mis au travail pour essayer de trouver l'une des 2 184 solutions du puzzle. Plus précisément, quel est le nombre minimum de mouvements nécessaires pour résoudre même les positions les plus brouillées ?

Un certain Dr Rokicki a entrepris de calculer cette quantité et a trouvé la réponse : vingt. Son obsession actuelle est d'identifier toutes les positions des nombres de Dieu qui sont extrêmement rares, et vraiment difficiles à trouver, a-t-il déclaré. Pendant qu'il parlait, trois ordinateurs de sa maison se sont mis à la tâche. Leurs 336 gigaoctets combinés creusent environ 100 000 positions de distance par jour (**). Jusqu'à présent, Rokicki dispose d'une base de données d'environ 100 million de personnes. Ce sont des joyaux mathématiques, dit-il.

Maria Mannone, physicienne théoricienne et compositrice italienne, a inventé le CubeHarmonic, qui est un Rubik's Cube où, sur chaque face, il y a des accords musicaux, une note sur chaque facette. En brouillant le cube, les accords musicaux sont aussi, devinez, … brouillés.

M. Rubik a ajouté qu'il n'aimait pas tellement les puzzles conçus simplement pour être des puzzles. Il dit qu’il « aime le contenu déroutant de la vie et de l'univers tel qu'il est. »





(*) Basé sur Siobhan Roberts, The Rubick’s Cube turns 50, The New York Times, July 1, 2024.
(**) A vrai dire, je ne comprends pas trop bien ce qui se passe là.


jeudi 7 novembre 2024

Alcool, drogues et armes à feu. Comment ne pas faire de vieux os chez l’oncle Sam ?

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Pierre Pestieau


Un tout nouveau rapport (1) examine comment les décès liés à l'alcool, aux drogues et aux armes à feu ont réduit l'espérance de vie aux États-Unis et ont contribué à creuser l'écart d'espérance de vie entre les États-Unis et d'autres pays à revenu élevé. Si ces décès évitables étaient éliminés (et que les autres causes de décès restaient inchangées), l'espérance de vie à la naissance aux États-Unis augmenterait de 1,6 an, réduisant de moitié l'écart actuel d'espérance de vie, selon le rapport. 

Malgré un investissement énorme dans les soins de santé, l'espérance de vie aux États-Unis en 2022 (77,6 ans) était nettement inférieure à celle des pays à revenu élevé comparables (en moyenne 80,6 ans). En 2022, les États-Unis ont connu plus de 48 000 décès liés aux armes à feu, près de 108 000 décès liés aux drogues et plus de 51 000 décès dus à l'alcool. Ces décès évitables ont touché de manière disproportionnée les enfants et les jeunes adultes, contribuant à une réduction de l'espérance de vie à la naissance. L'espérance de vie a été fortement corrélée avec les facteurs démographiques, géographiques, sociaux et économiques. Les États du Sud ont généralement des espérances de vie inférieures à celles des autres régions du pays. Les personnes à faibles revenus ont tendance à avoir une espérance de vie inférieure à celles aux revenus plus élevés ; d'autres facteurs tels que l'éducation, le mode de vie, la génétique et l'environnement peuvent également avoir un impact sur l'espérance de vie.


Ce rapport nous apprend que les décès liés aux drogues représentent le plus grand nombre d'années potentielles d'espérance de vie perdues. Si ces décès n'avaient pas eu lieu, l'Américain moyen pourrait s'attendre à vivre près d'un an de plus (0,9 an). Les États-Unis ajouteraient en moyenne 0,4 an et 0,3 an d'espérance de vie si les décès dus aux armes à feu et à l'alcool, respectivement, étaient éliminés. Dix États verraient une augmentation de plus de 2 ans d'espérance de vie si les décès dus à l'alcool, aux drogues et aux armes à feu n'avaient pas eu lieu, allant de 2,0 ans en Caroline du Sud à 3,0 ans au Nouveau-Mexique. Certains sous-groupes raciaux/ethniques connaîtraient des augmentations dramatiques de l'espérance de vie si les décès liés à l'alcool, aux drogues ou aux armes à feu n'avaient pas eu lieu.

Le rapport conclut qu’il est possible de s'attaquer aux causes de ces décès grâce à des interventions de santé publique ciblées, à des traitements des troubles mentaux et de la toxicomanie, ainsi qu'à des services sociaux renforcés. On peut trouver cette conclusion naïve. Il semble en effet que pour réduire ces trois types de décès, il faille réformer structurellement le fonctionnement de la société américaine. Dans leur ouvrage " Morts de désespoir. L’avenir du capital ", Anne Case et Angus Deaton (2) montrent bien que la surmortalité qui frappe les blancs « non hispaniques » peu diplômés est liée à la manière dont le capitalisme américain les traite.


Enfin pour finir avec plus de légèreté, on notera que nombre de séries et films américains perdraient de leur saveur si la drogue, le crime et l’alcool venaient à disparaître. Les gens de ma génération se souviennent d’Eddie Constantine et de sa chanson : Cigarette et whisky.




(2). Anne Case et Angus Deaton, Morts de désespoir. L’avenir du capitalisme, PUF, 2021

jeudi 31 octobre 2024

Y a-t-il encore des sécrétions anales de castor qui finissent dans nos desserts à la vanille?

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Clémentine Ambald (*) et Ruth Schuster (**)


L'engouement autour du castoréum a presque fait disparaître l'animal au Moyen Âge, Mais aujourd’hui cela pourrait aussi arriver. Voici le charmant petit animal musqué, dit castor.

Un castor "musqué"

La vanille, cet arôme simple qui rappelle un peu l'enfance… Quand on y pense, on imagine la gousse de vanille bourbon de nos placards. Or, ce n'est pas celle-ci qui est utilisée dans la plupart des aliments que nous consommons de nos jours.

Le pourquoi est simple: cela coûte trop cher et prend trop de temps à préparer (pauvre petite bête). Mais alors, d'où vient le goût vanille des desserts que nous achetons? Une rumeur enfle sur les résauts réseaux sociaux: les industriels se serviraient du « jus de glande anale de castor », ou castoréum.


Une part de vérité


Au début du XXe siècle, le castoreum était un produit plébiscité par les parfumeurs, grâce à son odeur musquée et vanillée. Les entreprises du secteur alimentaire se servaient allègremet dans les mallettes des parfumeurs à l'époque, finissent par intégrer la substance dans l'alimentation. On en trouvait dans les gâteaux, les glaces et les desserts, mais aussi dans les cigarettes. Cela donnait un arôme décrit comme distingué et luxueux.

Deux castors "musqués"

Dans les années 1960 et 1970, si le castoréum a bien été intégré à l’industrie agro-alimentaire pour rehausser les arômes de fraise, de framboise et bien, entendu de vanille, il n'a jamais remplacé l’arôme directement du petit castor. Étant une substance très chère à produire, et qui nécessitait soit d'abattre l'animal, soit de manipuler manuellement la glande, il n'y avait qu'une infime quantité dans les produits.

Enfin, à partir des années 1980, son utilisation a fortement baissé, jusqu'à presque disparaître du secteur de l’alimentation et les castors on tune paix moins lourde aujourd’hui.

Ce produit est connu depuis l'Antiquité. Il était alors vu comme un médicament, qui aurait la capacité de guérir de nombreux maux, de l'épilepsie à la piqûre d'araignée en passant par la constipation, explique l'historienne Nadia Berenstein. Des femmes pensaient même qu'inhaler les fumées produites une fois la substance consumée, pouvait jusqu’à provoquer des avortements.

L'engouement autour du castoréum a presque fait disparaître l’animal au Moyen Âge, avant que l'Europe ne découvre son existence en Amérique. Cette découverte s'accompagne, entre autres, de celle des castors américains, et signe le retour de l'exploitation de l'espèce, traquée pour ses glandes et sa fourrure.

De nos jours, une bonne centaine de kilos de castoréum reste quand même produite chaque année aux États-Unis, pour diverses utilisations. Mais cela reste réduit, par rapport aux 9 tonnes de vanille récoltées à partir des gousses il y a quelques années.

(*) et (**) Jamais je n’aurais osé mettre mon nom (Victor Ginsburgh) comme auteurs de ces article. Merci, c’est drôle et bizarre, et j’aime la vanille, d’où qu’elle vienne. Voirfile:///Users/vicky/Desktop/BLOGS%20since%20october%202024/2.%20October%202024-%20castor/A%20History%20of%20Flavoring%20Food%20With%20Beaver%20Butt%20Juice.html ethttps://www.slate.fr/stor/242267/secretions-glandes-anales-castor-castoreum-desserts-vanille-fraise-framboise-aromes.



jeudi 24 octobre 2024

Les deux étapes de la vieillesse

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Pierre Pestieau

Au soir de sa vie, Baumgartner, le héros du dernier roman de Paul Auster, s’interroge sur l’avenir qui lui reste.
« Car le temps compte désormais, et il n’a pas la moindre idée de combien il lui en reste. Pas seulement combien d’années avant de passer l’arme à gauche, mais plus précisément, combien d’années de vie active et productive avant que son esprit ou son corps ou les deux ne commencent à le lâcher et qu’il ne se change en idiot incompétent, perclus de douleurs, incapable de lire ou de penser, de se rappeler ce qu’on lui a dit quatre secondes plus tôt ou de rassembler assez d’énergie pour bander, chose horrible qu’il ne souhaite pas envisager. Cinq ans ? Dix ans ? Quinze ans ? Les jours et les mois filent devant lui de plus en plus vite à présent, et le temps qui lui reste passera de toute façon en un clin d’œil. »

Cette incertitude constitue une des différences entre la jeunesse et la vieillesse. On peut assez précisément distinguer l’enfance de l’adolescence. En revanche, la durée des deux étapes de la vieillesse, celle de bonne santé et d’autonomie et celle de dépendance et de divers handicaps, ne peut l’être. Certes on peut dire qu’en moyenne, dans un pays donné et à une période donnée, à partir de 65 ans, la première étape dure 10 ans et la seconde 8 ans. Mais ce ne sont que des moyennes statistiques. Individuellement, la durée de la vieillesse et le partage entre ces deux étapes varient énormément. Certains peuvent perdre toute autonomie dès 65 ans et ne vivre que quelques années et d’autres rester autonomes pendant plusieurs décennies et ne connaitre qu’une courte période de dépendance.


Il est clair que cette vision binaire de la vieillesse est discutable. Selon cette vision, la première phase voit les individus garder une bonne santé physique et mentale, conserver un haut degré d'indépendance et participer activement à des activités sociales, récréatives et peut-être même professionnelles. Ils n'ont que des problèmes de santé mineurs, voire aucun, et les gèrent efficacement avec des examens réguliers et un mode de vie sain. Ils s'engagent souvent dans des exercices physiques, maintiennent une alimentation équilibrée et possèdent un réseau social solide. Ils continuent souvent à profiter de leurs loisirs, à voyager, à faire du bénévolat et à participer à des engagements familiaux. Les fonctions cognitives restent vives.

La seconde phase est marquée par des problèmes de santé significatifs, une diminution des capacités physiques et cognitives, et une dépendance accrue envers les autres pour les activités quotidiennes et les soins. Les maladies chroniques, les problèmes de mobilité et le déclin cognitif (comme la démence) deviennent plus fréquents. La personne âgée peut avoir des visites médicales fréquentes, des hospitalisations et nécessiter une gestion continue des médicaments. Sa participation aux loisirs et activités sociales précédents peut diminuer considérablement. Un soutien significatif est nécessaire, allant de l'aide aux activités quotidiennes (se laver, s'habiller, manger) à des soins à temps plein. Ce soutien peut provenir de membres de la famille, de soignants professionnels ou de résidences de soins assistés.

En général, on ne passe pas d’une phase à l’autre brusquement. Le plus souvent à moins d’un épisode comme un AVC, la transition est progressive. Le déclin physique et cognitif peut être lent, quasiment imperceptible. Il existe des échelles, typiquement celle de Katz (1) largement utilisée, qui permettent de déterminer le degré de dépendance d’une personne et donc d’évaluer si l’on se trouve ou pas dans la seconde phase de la vieillesse.

Il est important de noter que si on n’est pas capable de connaître le moment où une personne âgée bascule dans la dépendance lourde, on est encore moins capable d’évaluer le moment où elle passerait d’un état de bien-être à un état de tristesse. J’ai déjà eu l’occasion dans un blog précèdent (2) d’indiquer que l’on peut être lourdement dépendant et pourtant heureux et en parfaite santé et malheureux. Or n’est-ce pas cela qui compte ?


(1). L’échelle de Katz permet d’évaluer le degré de perte d’autonomie ou de dépendance de la personne âgée. L’évaluation se fait sur la base de différentes variables permettant de déterminer le niveau de dépendance de la personne. Les critères d’évaluation concernent les domaines suivants:
  • se laver
  • s’habiller
  • transferts et déplacements
  • aller à la toilette
  • continence
  • manger
(2). Bonheur, santé et autonomie, jeudi 1er juin 2023

jeudi 17 octobre 2024

Pauvre Beethoven, pourquoi est-il devenu sourd ?

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Victor Ginsburgh 

Beethoven (Bonn 1770-Vienne 1827) a sans doute été torturé pendant une bonne partie de sa vie. 

Durant le dix-neuvième siècle, on s'est mis à penser que le compositeur avait une trace de « race » noire (cheveux noirs rudes, nez épaté, peau plutôt brune). L'idée était un peu étrange. Sa mère était flamande mais un ou une de ses propres ancêtres aurait pu « côtoyer » des espagnols qui sont passés par la Flandre et qu'un de ces espagnols aurait, à son tour, côtoyé des « maures » ... Voilà, pensait-on d’où serait venu le sang africain du musicien. Cette légende apparaît cependant bien après sa mort et n'a donc pas dû le déranger beaucoup de son vivant. Mais c’est resté néanmoins, et ce jusqu’à nos jours, une légende…


Son péché mignon était bien plus grave. Il buvait avec grande joie et ce, jusqu'à la fin de sa vie, un bon Bordeaux, du Champagne, du Bourgogne et du Tokay hongrois, quand il avait un peu d'argent ou quand on voulait le rendre heureux. Ce qui était sans doute assez rare. D'habitude, ce qu'il buvait était plutôt des vins de bas de gamme.

Bien plus tard, au cours du 20ème siècle et plus près de nous, au 21ème siècle, les férus de Beethoven ont lentement compris pourquoi le compositeur était devenu sourd si jeune. Sa surdité qui augmentait au fil du temps provenait probablement des quantités de mauvais vin qu’il buvait. On a récemment pu redécouvrir ses cheveux qui ont été consciencieusement analysés (*). Les ADN analysés et découverts par des médecins ou des biologistes dans ces cheveux ont rendu probable que les doses soutenues de plomb dans les vins de l’époque qu’il buvait allègrement, ont sans doute causé sa surdité précoce. En effet, à cette époque, les vins venaient à maturation dans des cuves en plomb et les bouchons des bouteilles étaient trempés dans du sel de plomb.

Mèches de cheveux de Beethoven

Voici un de ses vins qu’il aimait sans doute « particulièrement », en espérant que de nos jours, il n’est plus plombé ! Il buvait aussi du vino semi secco, mais on peut penser qu’en ces temps, ce vin ne s’appelait pas Beethoven.

Bouteille de Vino Semi Secco de Alemania

Anton Schindler, son secrétaire et biographe l'a vu mourir. Il aurait rapporté que le combat avec la mort du compositeur a été terrible à voir, mais il a continué à boire du vin Rüdesheimer, boire si on peut dire, parce qu’il n’était plus capable de tenir son verre et réclamait sa goutte de vin dans une cuillère. 

Son Ode à la Joie (Neuvième Symphonie, opus 125) n’est, contrairement à ce que beaucoup d’entre nous pensent, pas tout à fait la dernière œuvre du maître mais il l’a lui-même dirigée le 7 mai 1824 trois ans avant son décès au Kärntnertortheater de Vienne, devant une audience de quelque 1.800 personnes. Le premier mouvement commence avec des timbales que l’assistance applaudissait chaudement. Mais « Beethoven ne réagissait pas aux applaudissements à samusique. Il se tenait dos au public, battant la mesure. Un soliste saisit sa manche et le retourna pour voir l’adulation qu’il ne pouvait guère entendre. Une humiliation de plus pour un compositeur qui avait dû être mortifié par sa surdité commencée au début de ses trente ans » (**).



(*) Quelque récents articles scientifiques relatifs à la source de la surdité de Beethoven :
  • Begg, Tristan et al. (2023), Genomin analysis of hair from Ludwig van Beethoven, Current Biology, April 24, 1431-1447.
  • Nader, Rifal et al. (2024), High lead levels in 2 independent and authenticated locks of Beethoven’s hair, May 6. https://doi.org/10.1093/clinchem/hvae054
  • Reiter, Christian (2007), The causes of Beethoven’s death and his locks of hair: a forensic-toxicological investigation, Beethoven Journal. 22-1, 2-5.
  • Wesseldijk, Laura et al. (2024), Notes from Beethoven’s genome, Current Biology, March 25, 233-234. 
(**) Gina Kolata, Locks of Beethoven’s hair offer new clues to the mystery of his deafness, The New York Times, May 6, 2024.





jeudi 10 octobre 2024

Un impôt réel pour un loyer fictif

3 commentaires:

Pierre Pestieau

Un ménage propriétaire qui occupe son propre logement n’a pas à payer de loyer en contrepartie. Ce loyer que l’on qualifie d’imputé ou de fictif représente ce que ce ménage propriétaire devrait payer s’il devait louer le logement qu’il occupe. Se pose alors la question de l’inclusion de ce loyer fictif dans l’assiette de l’impôt sur les revenus. Quand je pose la question autour de moi, la réponse se fait en deux temps. D’abord, il me faut expliquer le concept de loyer fictif, dont la signification ne saute pas aux yeux. Dans un second temps, j’obtiens une réaction radicalement négative sous prétexte que l’on paye déjà une lourde taxe sur son logement propre, communément appelée précompte immobilier en Belgique ou taxe foncière en France.

Deux raisons peuvent justifier cet élargissement de la base de l’impôt sur les revenus : une raison qui relève de la neutralité de l’impôt et une seconde qui concerne l’équité. D’abord, il s’agit de rendre les ménages fiscalement indifférents, entre la location et la propriété. Le propriétaire non fiscalisé sur les loyers fictifs est en effet traité plus favorablement que celui qui n’a pas investi son épargne dans un logement mais l’a placée en bourse, pour rester locataire. En effet, celui qui est resté locataire est soumis à la fiscalité du capital.

La seconde raison avancée pour la fiscalisation des loyers fictifs est qu’elle permettrait d’avoir une imposition davantage redistributive qui couvre l’ensemble des revenus du ménage. L’impôt sur le revenu qui est basé sur le principe de la capacité contributive est en effet progressif. Plus le revenu augmente, plus l'imposition est importante. En revanche, le précompte immobilier est lui basé sur le principe du bénéfice, selon lequel l’impôt doit être établi en fonction des avantages que le contribuable retire des services publics qu’il finance. De ce fait, le taux de prélèvement est d’autant plus bas que la commune est riche, ce qui rend le précompte immobilier régressif. Plus le revenu augmente, moins l'imposition est importante.

La revue Économie et Statistiques de l’INSEE a récemment publié une étude (1) qui estime ce que rapporterait la fiscalisation des loyers imputés en France. Cet article a un sous-titre éloquent : Un cadeau pour Harpagon. Cela se situerait entre 9 et 11 milliards d’euros, soit environ 10% de ce que rapporte l’impôt sur le revenu. Cette même étude indique que cette fiscalisation impacterait surtout les personnes âgées et les hauts revenus. L’impôt sur le revenu étant plus important en Belgique, le rendement de cette réforme y serait aussi plus élevé.

En résumé, la fiscalisation des loyers fictifs serait souhaitable du point de vue de l’équité et de la neutralité de l’impôt. Serait-elle populaire ? Évidemment non. Mais il est possible de rendre cette réforme politiquement acceptable en utilisant les recettes ainsi obtenues pour réduire le précompte immobilier et pour financer le logement social.

Ce qui m’étonne est la frilosité des économistes, même les plus progressistes, à l’égard de cette imposition qui coche pourtant toutes les cases qui font un impôt juste et efficace. On trouve la même frilosité à l’égard des droits de succession. Il y aurait comme un tabou dès qu’il s’agit du patrimoine familial. 

La France se trouve aujourd’hui confrontée avec la nécessité de trouver de nouvelles recettes. Imposer ces loyers fictifs permettrait de réduire en partie son déficit budgétaire abyssal et ferait plus que compenser la suppression de la taxe d’habitation accordée il y a quelques années par Emmanuel Macron pour on ne sait quelle raison.


(1). Montserrat Botey & Guillaume Chapelle (2014), La non-imposition des loyers imputés : un cadeau pour Harpagon ? Une estimation dans le cas de la France / Non-Taxation of Imputed Rent: A Gift to Scrooge? Evidence from France, Economie et Statistique / Economics and Statistics #541.



jeudi 3 octobre 2024

Socialite et pas socialiste

1 commentaire:

Pierre Pestieau

Socialite’ est un mot anglais, qui se traduit par mondain. J’ai eu récemment l’occasion de visiter la propriété du parangon des ‘socialites’ américaines. Il s’agit de Marjorie Merriweather Post, née à Springfield dans l’Illinois et décédée en 1973, à Washington DC. Elle fut pendant de nombreuses années la femme d’affaires américaine la plus riche. Elle était la propriétaire de la fameuse firme General Foods.



Elle a utilisé une grande partie de sa fortune pour collectionner des œuvres d'art, en particulier de l'art russe pré-révolutionnaire et de nombreux objets ayant appartenu à Marie Antoinette. Une grande partie de ces œuvres est aujourd'hui exposée dans une de ses propriétés, l’Hillwood Estate, Museum & Gardens, qui comme son nom l’indique est devenue un impressionnant musée, situé aux confins de Washington.

La visite du musée comme celle des jardins était intéressante ; elle vaut le détour. Il demeure qu’elle entraîne un certain malaise pour deux raisons. D’abord, il semble étrange, anachronique, de consacrer autant de ressources à commémorer deux époques qui furent loin d’être les plus démocratiques et partageuses de l’Histoire de l’Europe, et qui d’ailleurs furent l’une et l’autre suivies de deux des révolutions les plus marquantes.

La seconde raison est sans doute plus substantielle. Tout au long de la visite, la guide ne cessait de nous vanter la générosité de cette femme qui avait consacré une important fraction de sa fortune au bien-être de l’humanité, alors qu’elle aurait pu la consacrer à son intérêt propre. Cet argument se retrouve dans les brochures que l’on reçoit au début de la visite. Il appelle deux réactions. D’abord, on sait que les multimilliardaires ne pourraient consacrer qu’une infime partie de leur richesse à la consommation la plus somptuaire que l’on puisse imaginer. Ensuite, penser que les ultrariches contribuent plus au bien-être social par leurs donations que si leur richesse avait été taxée et du coup utilisée par l’État pour ses dépenses courantes est une idée qui est largement répandue dans les milieux conservateurs aux États-Unis et ailleurs. Cette idée que les riches savent mieux que l’État ce qui est bon pour la société ne tient pas la route.

Il est malheureusement de plus en plus fréquent d’entendre des gens prétendre que les individus contribuent plus efficacement au bien-être collectif par leurs dons à des œuvres de bienfaisance, à la recherche scientifique ou à des œuvres artistiques que l’État agissant dans les mêmes domaines. Cette théorie se heurte à deux réalités. D’abord, les donations privées, surtout quand elles émanent de milliardaires, sont orientées vers des objectifs spécifiques qui n'ont pas l’universalité de la politique publique. En outre, on sait que si les taxes étaient remplacées par des contributions volontaires, le phénomène du passager clandestin conduirait à des montant nettement plus faibles.

La conclusion est évidente et sans surprise : des ‘socialites’ comme Mme Merriweather Post sont loin d’être des socialistes. 

jeudi 26 septembre 2024

Taxer ou règlementer la consommation de drogues

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Pierre Pestieau

Faut-il lutter contre la consommation de drogue ou la pratique des jeux de hasard ? Dans l’affirmative, doit on recourir à la fiscalité ou à la règlementation ? Pour répondre à ces questions, il faut tenir compte de 4 aspects : le degré de nocivité perçue, une source de recettes pour l’État, l’existence d’un marché noir et la possibilité d’addiction. On se concentrera sur la drogue. Le même raisonnement s’applique au jeu qui a certains égards peut être considéré comme une drogue.

On distingue une large variété de drogues qui vont du médicament aux drogues dures en passant par le tabac, l’alcool et la marijuana. La nocivité de ces drogues peut être objectivée mais elle est perçue différemment selon les époques et les pays. Le cannabis est considéré comme nocif en France et pas du tout aux Pays Bas. La cigarette a été longtemps vue comme inoffensive. Dans la plupart des pays, les médicaments sont subventionnés, le tabac et l’alcool sont taxés et les drogues dures sont interdites. Les drogues douces le sont souvent aussi, bien que parfois tolérées.

S’il peut y avoir un marché parallèle, la taxation et surtout l’interdiction peuvent s’avérer inopérantes. L’exemple de la prohibition instaurée au États-Unis en 1920 illustre bien cette difficulté. A tout le moins, toute politique qu’elle soit de type fiscal ou règlementaire ne peut négliger cette alternative. Quant à la fiscalité, il importe de veiller à ce qu’elle ne soit pas régressive. Les taxes imposées sur les cigarettes rapportent beaucoup à l’État mais sont nettement régressives dans la mesure où la consommation de tabac décroît avec le revenu. Enfin, il ne faut pas négliger le phénomène d’addiction qui rend inopérantes les politiques classiques. En d’autres termes, il faut dans ces cas recourir à des mesures thérapeutiques qui sont le plus souvent couteuses.

Lorsqu'on analyse les avantages comparés de la taxation et de la réglementation pour lutter contre la consommation de drogues nocives, il est essentiel d'examiner les avantages distincts que chaque approche offre. Les deux stratégies visent à atténuer les impacts négatifs de la consommation de drogues sur la société, mais elles emploient différents mécanismes et outils pour atteindre leurs objectifs.

Commençons par la fiscalité qui peut être précédée par la légalisation si la drogue était jusqu’alors interdite. La taxation peut générer des revenus significatifs pour les gouvernements. Ces fonds peuvent être réaffectés à des programmes de santé publique, d'éducation et de services de réhabilitation des drogues. Par la taxation, le gouvernement peut influencer le prix des drogues, les rendant moins attrayantes pour les consommateurs si elles sont plus chères. Cela peut réduire la consommation sans interdire directement la substance. La légalisation et la taxation des drogues peuvent réduire le commerce illégal et les activités criminelles associées. Cela permet de faire entrer les ventes de drogues dans un marché réglementé où les normes de sécurité peuvent être appliquées.

Quant à la règlementation, elle permet un contrôle direct sur qui peut accéder aux drogues, dans quelles circonstances et en quelles quantités. Cela peut être plus efficace pour les médicaments. Elle peut établir et faire respecter des normes pour la production et la distribution de drogues, garantissant la sécurité et la cohérence des produits. Cela réduit le risque de contamination et de surdose. En outre, la règlementation peut être adaptée pour aborder des problèmes spécifiques liés à la consommation de drogues, tels que les restrictions publicitaires, les limites d'âge et les lieux de vente. Cela permet des approches plus nuancées et spécifiques au contexte.

Le choix entre la taxation et la réglementation, ou une combinaison des deux, dépend des objectifs spécifiques et du contexte de la politique en matière de drogues. La taxation offre une approche pragmatique pouvant réduire l'usage et générer des revenus, tandis que la réglementation fournit un contrôle direct et des garanties de sécurité. Souvent, la stratégie la plus efficace peut impliquer un mélange équilibré des deux, tirant parti des forces de chaque approche pour relever les défis complexes posés par la consommation de drogues.

jeudi 19 septembre 2024

Les prisons israéliennes sont une énorme machine à torturer

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Résumé par Alex N. Press d’un texte de B’Tselem (*)
Traduit par Victor Ginsburgh

Les prisons israéliennes fonctionnent comme un système de camps de torture. Les Palestiniens détenus par Israël depuis le 7 octobre ont fait de telles déclarations pendant des mois, leurs paroles étayées par une perte de poids extrême après avoir été libérés de la détention israélienne. Aujourd'hui, un rapport obsédant et exhaustif de l'ONG israélienne de défense des droits de l'homme B’Tselem publié cette semaine étaye ces affirmations par des preuves provenant de cinquante-cinq détenus palestiniens après leur libération des prisons israéliennes. La majorité des personnes interrogées n'ont jamais été jugées pour aucun crime.

Le titre du rapport de B’Tselem « Bienvenue en enfer », est une citation d'un soldat israélien. « L'enfer » n'est pas une exagération. Comme le détaille le rapport, les Palestiniens qui sont détenus dans les prisons et les centres de détention israéliens depuis le début de la guerre contre Gaza sont soumis à la torture, aux abus sexuels, à la violence, à l'humiliation, à la famine, à la privation de sommeil et au déni de traitement médical adéquat. Le rapport énumère soixante cas de prisonniers palestiniens morts depuis le début de la guerre, dont quarante-huit prisonniers de Gaza morts dans les centres de détention de l'armée et douze morts en détention par l'administration pénitentiaire ; de nombreux témoignages du rapport font référence à l'unité Keter de l'administration pénitentiaire, qui fonctionne comme une force spécialisée dans le contrôle des émeutes.

« Leurs témoignages révèlent les résultats de la transformation précipitée de plus d'une douzaine d'établissements pénitentiaires israéliens, militaires et civils, en un réseau de camps dédiés à l'abus des détenus dans le cadre d'une politique », note B'Tselem en introduction du rapport. 

« Les établissements dans lesquels chaque détenu est délibérément soumis à une douleur et à des souffrances dures et implacables fonctionnent de facto comme des camps de torture. »

Les témoignages valent la peine d'être lus dans leur intégralité, mais ils incluent: un détenu battu à mort par des gardiens pour avoir demandé s'il y avait un cessez-le-feu, car les détenus n'ont pas reçu de nouvelles à l'intérieur de la prison ; un récit de gardiens mettant des cigarettes « dans ma bouche et sur mon corps [...] ils ont mis des pinces sur mes testicules qui étaient attachés à quelque chose de lourd » ; l'utilisation de « musique disco forte » jouée à des volumes qui font saigner les oreilles des détenus ; un récit d'agression sexuelle et de sodomie au cours duquel d'autres gardiens ont filmé l'acte sur leurs téléphones ; histoire après histoire de famine délibérée de détenus.

Ces derniers jours, la société israélienne a été déchirée par l'allégation d'un tribunal selon laquelle des membres des Forces de défense israéliennes (FDI) auraient violé collectivement une détenue palestinienne à la base militaire de Sde Teiman. L'allégation a entraîné un soulèvement en défense des soldats en question, encouragé par les membres de Tsahal (armée israélienne) et les dirigeants élus des partis politiques israéliens. Alors que la foule pro-viol prenait d'assaut la base militaire, l'armée israélienne a été forcée de redéployer des unités de Cisjordanie vers la base pour tenter d'apaiser la violence et de garder le contrôle.

Comme le montrent clairement les rapports de B'Tselem, et conformément aux conclusions supplémentaires des Nations Unies, les soldats accusés de viol à Sde Teiman ne sont guère des exceptions. L'armée israélienne y mène une politique systémique de torture des quelque dix mille Palestiniens actuellement détenus.

Détenus de Sde Teiman

« Compte tenu de la gravité des actes, de l'ampleur des violations des dispositions du droit international et du fait que ces violations visent l'ensemble de la population de prisonniers palestiniens, quotidiennement et au fil du temps, la seule conclusion possible est qu'en commettant ces actes, Israël commet des actes de torture qui constituent un crime de guerre et même un crime contre l'humanité, » conclut le rapport.

Il y a longtemps eu des allégations crédibles selon lesquelles l’armée israélienne utilise la violence sexuelle contre les détenus palestiniens. Le fait que la société israélienne ait maintenant été forcée de le reconnaître par un tribunal est en soi le résultat d'un consensus croissant de la communauté juridique internationale selon lequel Israël ne peut pas enquêter sur lui-même pour ses crimes de guerre présumés et doit donc être poursuivi par des tribunaux tels que la Cour pénale internationale (CPI). Le soutien du public israélien aux violeurs présumés de Tsahal, et sa réponse remarquablement modérée aux témoignages contenus dans le rapport de B'Tselem, en sont une preuve supplémentaire. Voir aussi (**).

Comme l'a noté le chroniqueur de Haaretz, Gideon Levy, à propos de l'absence d'indignation parmi les Israéliens face aux révélations contenues dans le rapport, « l'indifférence à toutes ces choses définit Israël ». 

Dans le camp de détention de Guantanamo Bay (prison américaine), neuf prisonniers ont été tués en vingt ans ; en Israël, soixante détenus ont été tués en dix mois.

(*) B’Tselem est le centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés. Le texte de cet article est un résumé d’Alex N. Press du B’Tselem Report du 6 août 2024. Voir https://imemc.org/article/btselem-report-welcome-to-hell/
(**) Jonathan Ofir, Israeli media’s coverage of the rape of Palestinian detainees shows support for sexual violence in service of genocideMondoweiss, 12 août, 2024.