mardi 15 mai 2018

La privatisation des entreprises publiques: quel gâchis


J’ai la conviction que nos sociétés auraient sans doute gagné à éviter la vague de privatisation qu’elles ont connue ces dernières décennies. Trois motivations peuvent expliquer cette déferlante. D’abord, une motivation idéologique. Les idées néolibérales qui se sont répandues avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher ont amené à nous faire croire que tout ce qui était public était inefficace. Ensuite, il y avait une série de problèmes politiques qui ont empêché les entreprises publiques d’évoluer pour répondre aux besoins du moment. Ajoutons à cela, le besoin de liquidités pour des Etats gravement endettés. On notera cependant que la plupart des privatisations se sont produites sans que ne soient effectuées de sérieuses études permettant de jauger la performance des entreprises publiques qualifiées d’inefficaces sans autre forme de procès.


Il y a peu à dire sur les raisons idéologiques qui ont présidé à cette vague. A cette époque, la majorité des citoyens s’est mise à douter des bienfaits de l’Etat providence. Les valeurs d’équité et de cohésion sociale qu’il incarnait et les objectifs de redistribution et de protection contre les risques de la vie qu’il poursuivait ne convainquaient plus. Il était facile d’imputer à l’Etat providence le ralentissement de la croissance et la persistance des inégalités sociales tout en promettant que le marché pouvait résoudre tous les problèmes.

Comme autre motivation, il y avait l’idée qu’il n’était pas possible de réformer les entreprises publiques pour diverses raisons dont nous citerons les plus importantes. Certaines missions de service public entraînaient des coûts que pouvait éviter une entreprise privée. Les travailleurs du secteur public bénéficiaient d’avantages supérieurs à ceux des travailleurs du secteur privé. Ils avaient le statut de fonctionnaires et jouissaient d’un système de retraite extrêmement favorable. En les privatisant, on en réduisait automatiquement les coûts mais aussi le bien-être des employés et la qualité des services. L’absence de concurrence et la politisation avaient aussi leur coût. Les dirigeants étaient souvent choisis pour leur appartenance à tel ou tel parti, mais pas pour leur compétence. Ce qui est regrettable c’est que certains de ces blocages étaient le fait de personnes qui par ailleurs se voulaient être des défenseurs résolus du secteur public et en devenaient ainsi les fossoyeurs. 

Enfin, la nécessité de réduire les déficits budgétaires réclamée par l’Europe et son traité de Maastricht à conduit les Etats à vendre ce qu’on a parfois appelé leurs bijoux de famille. Par cette expression, on couvrait les entreprises publiques florissantes. Florissantes ou pas, le prix de vente de ces entreprises aurait normalement dû correspondre à la valeur présente des gains ou des pertes que l’on peut attendre pour un cahier des charges donné. Et donc, il n’y a à espérer aucun avantage budgétaire. Ce qui s’est souvent passé est qu’une fois privatisées, les propriétaires de ces entreprises ne se conformaient que bien imparfaitement au cahier des charges qu’ils s’étaient engagés de respecter, à savoir la mission de service public. Au total, le Trésor public n’a rien et la collectivité a perdu.

Malheureusement, comme dans le mythe d’Orphée, le retour en arrière n’est pas possible. Il faut cependant tirer les leçons de ces expériences et il n’est pas certain qu’on le fasse lorsqu’on voit se développer de nouvelles formes de privatisation, tels que les fameux partenariats privé-public, ces « boulets que l’Etat s’accroche au pied » (1). Ces dispositifs, qui permettent à l’Etat et aux collectivités de s’équiper sans s’endetter, sont de plus en plus décriés. Régulièrement la presse relate des situations où en effet la collectivité se fait gruger et les examples abondent : prisons, autoroutes, parkings, et bien d’autres (2).


1 commentaire:

  1. Merci Pierre ! La Cour des Comptes européenne vient, elle aussi, de s'exprimer sur les PPP, et ce n'est pas tendre. Pourvu que le "Pacte national d'investissement stratégique" annoncé en Belgique ne leur fasse pas la part belle ...

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