mercredi 31 octobre 2018

Ces gens là

Pierre Pestieau

Nul ne peut nier que si l’on veut vivre longtemps et en bonne santé il vaut mieux ne pas fumer, ne pas boire, suivre un régime alimentaire sain et faire un exercice physique modéré. En d’autres termes se tenir à l’écart des quatre péchés capitaux que sont l’alcoolisme, le tabac, la sédentarité et l’obésité.
Rien à redire aussi longtemps que cela vient des médecins. Le problème apparaît dès lors que le politique s’en empare. On observe que ce sont surtout les classes sociales défavorisées qui « s’abandonnent », comme on dit,  à ces vices. Et pourquoi ? Essentiellement parce qu’elles seraient ignorantes ou qu’elles auraient une préférence élevée à l’égard du présent, qui leur ferait préférer la gratification immédiate aux bénéfices de long terme que sont la santé, l’autonomie et la longévité.
Les économistes parlent à ce sujet de biens peccamineux (sin goods) et ils proposent de les taxer lourdement puisqu’il n’y a pas d’autres façons de faire entendre raison à « ces  gens là » (1). 


Récemment je suis tombé sur un article (2) qui a mis des mots sur un malaise que je ressentais à l’égard des propos condescendants que j’entends autour de moi à l’encontre de ces pécheurs impénitents, plutôt aux Etats Unis et en Australie qu’en Europe, dois-je ajouter.
Cet article qui s’intitule « La moralisation de l'obésité: un nouveau nom pour un vieux péché? » met l’accent sur l’obésité mais il peut s’appliquer aux trois autres péchés capitaux et à bien d’autres.
L’auteure, une Australienne, note que les discours publics représentent l’obésité dans un cadre éthique ambiant qui relie la maladie à l’échec moral. Elle rapproche cela de la manière dont historiquement on traite la pauvreté et la maladie. On s’attaque à de soi-disant lacunes morales, en oubliant qu’il faudrait s’intéresser aux structures créatrices des problèmes de santé et de pauvreté. En culpabilisant ces pécheurs, on a bonne conscience de ne pas les aider.

L’obésité est clairement en relation avec le niveau socio-économique. Les familles les plus démunies ont moins accès à l’information. Elles ne disposent pas des revenus leur permettant une alimentation diversifiée et de bonne qualité, qui coûte généralement plus cher. Elles sont aussi plus attirées par les publicités vantant les mérites de la malbouffe et pénalisées sur le plan de l’activité physique: elles n’ont pas les moyens de s’inscrire à un club sportif, par exemple, vivent dans des régions qui manquent de piscines, de gymnases, etc.
Il est naturellement plus facile et réconfortant de s’attaquer au manque de rationalité des individus, de les culpabiliser que de s’attaquer aux causes structurelles de ces problèmes de santé. Mais en disant cela on s’en prend aux fondements néolibéraux de nos sociétés, où la recherche du profit est le principal moteur des comportements.
Pour illustrer la violence de certains, citons ce député australien : « Il faut avoir la loi la plus dure possible. Il faut faire que les fumeurs se sentent comme des lépreux. Il faut rendre leurs vies horribles » (3). La séquence est simple : on culpabilise, puis on ghettoïse et enfin on néglige.

Je conclurai quand même par une note un peu optimiste. Dans son dernier rapport, l’Observatoire de la pauvreté (4) nous apprend que des quatre raisons qui peuvent expliquer qu’en France des personnes se trouvent en situation de pauvreté, l’expression « Ne veulent pas travailler » est nettement dominée par : « Manquent de qualification », « Pas de chance », « Plus assez de travail pour tout le monde ». Et cela depuis quelques décennies.

(1) Comme le chantait Brel qui nous a quitté il y a 40 ans.
(2) Louise Townend (2009), The moralizing of obesity: A new name for an old sin? Critical  Social Policy, 29, 171-190.
(3) http://vapolitique.blogspot.com/2017/12/la-panne-du-modele-anti-tabac.html

(4) Observatoire de la Pauvreté (2018), Rapport sur la pauvreté en France, Compass.

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